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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

La côte de Malabar, proprement dite, commence par une petite île qui appartenait aux jésuites : elle porte encore leur nom ; et, par un singulier contraste, l’île de Bombay, qui suit, est aux Anglais. Cette île de Bombay est le séjour le plus malsain de l’Inde et le plus incommode. C’est pourtant pour la conserver que les Anglais ont eu une guerre avec le nabab de Décan, qui affecte la souveraineté de ces côtes. Il faut bien qu’ils trouvent leur profit à garder un établissement si triste, et nous verrons comment ce poste a servi à une des plus étonnantes aventures qui aient jamais rendu le nom anglais respectable dans l’Inde.

Plus bas est la petite île de Goa. Tous les navigateurs disent qu’il n’y a point de plus beau port au monde : ceux de Naples et de Lisbonne ne sont ni plus grands ni plus commodes. La ville est encore un monument de la supériorité des Européans sur les Indiens, ou plutôt du canon, que ces peuples ne connaissaient pas. Goa est malheureusement célèbre par son Inquisition, également contraire à l’humanité et au commerce. Les moines portugais firent accroire que le peuple adorait le diable, et ce sont eux qui l’ont servi.

Descendez vers le sud, vous rencontrez Cananor, que les Hollandais ont enlevé aux Portugais, qui l’avaient ravi aux propriétaires.

On trouve après cet ancien royaume de Calicut, qui coûta tant de sang au Portugais. Ce royaume est d’environ vingt de nos lieues en tout sens. Le souverain de ce pays s’intitulait Zamorin, roi des rois, et les rois ses vassaux possédaient chacun environ cinq à six lieues. C’était la place du plus grand commerce ; ce ne l’est plus, les marchands ne fréquentent plus Calicut. Un Anglais, qui a longtemps voyagé sur toutes ces côtes, nous a confirmé que ce terrain est le plus agréable de l’Asie, et le climat le plus salubre ; que tous les arbres y conservent un feuillage perpétuel ; que la terre y est en tout temps couverte de fleurs et de fruits. Mais l’avidité humaine n’envoie pas les marchands dans l’Inde pour respirer un air doux et pour cueillir des fleurs.

Un moine portugais écrivit autrefois que quand le roi de ce pays se marie il prie d’abord les prêtres les plus jeunes de coucher avec sa femme ; que toutes les dames et la reine elle-même peuvent avoir chacune sept maris ; que les enfants n’héritent point, mais les neveux ; et qu’enfin tous les habitants y font de pompeux sacrifices au diable. Ces absurdités ridicules sont répétées dans vingt histoires, dans vingt livres de géographie, dans