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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/147

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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

repoussé et battu quatre fois un corps de cinq mille hommes envoyé au secours de la place : on avait fait une brèche considérable, et il se disposait à tenter un assaut. Mais, dans le temps même qu’on se préparait à une action si audacieuse, il parut dans le port de Madras six vaisseaux de guerre détachés de la flotte anglaise qui était alors vers Bombay. Ces vaisseaux apportaient des renforts d’hommes et de munitions. À leur vue, l’officier qui commandait la tranchée la quitta. Il fallut quitter le siége en hâte, et aller défendre Pondichéry, que les Anglais pouvaient attaquer plus aisément encore que l’on n’avait attaqué Madras.

Il ne s’agissait plus alors d’aller faire des conquêtes auprès du Gange. Lally ramena sa petite armée, diminuée et découragée, dans Pondichéry, plus découragé encore. Il n’y trouva que des ennemis de sa personne, qui lui firent plus de mal que les Anglais ne lui en pouvaient faire. Presque tout le conseil et tous les employés de la compagnie, irrités contre lui, insultaient à son malheur. Il s’était attiré leur haine par des reproches durs et violents, par des lettres injurieuses que lui dictait le dépit de n’être pas assez secondé dans ses entreprises. Ce n’est pas qu’il ne sût très-bien que tout commandant qui n’a qu’une autorité limitée doit ménager un conseil qui la partage ; que s’il fait des actions de vigueur il doit avoir des paroles de douceur ; mais les contradictions continuelles l’aigrissaient, et la place même qu’il occupait lui attirait la mauvaise volonté de presque toute une colonie qu’il était venu défendre.

On est toujours ulcéré, sans même qu’on s’en aperçoive, de se voir sous les ordres d’un étranger. L’aliénation des esprits augmentait par les instructions mêmes envoyées de la cour au général. Il avait ordre de veiller sur la conduite du conseil ; les directeurs de la compagnie des Indes à Paris lui avaient donné des notes sur les abus inséparables d’une administration si éloignée. Eût-il été le plus doux des hommes, il aurait été haï. Sa lettre écrite le 14 février à M. de Leirit, gouverneur de Pondichéry, avant la levée du siége de Madras, rendait cette haine implacable. La lettre finissait par ces mots : « J’irais plutôt commander les Cafres de Madagascar que de rester dans votre Sodome, qu’il n’est pas possible que le feu des Anglais ne détruise tôt ou tard, au défaut de celui du ciel. »

Le mauvais succès de Madras envenima toutes ces plaies. On ne lui pardonna point d’avoir été malheureux, et, de son côté, il ne pardonna point à ceux qui le haïssaient. Des officiers joigni-