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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/149

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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

cinq cents hommes, tant cipayes que matelots ; mais Masulipatan était déjà pris[1]. Moracin alla, quatre-vingts lieues plus loin, sur un vaisseau qui lui appartenait, faire la guerre à un raïa qui devait de l’argent à la compagnie : il perdit quatre cents hommes et son argent.

Quels étaient donc ces princes à qui un particulier d’Europe venait redemander quelques milliers de roupies à main armée ?

Un autre exemple bien plus étrange du gouvernement indien mérite plus d’attention.

Pondichéry et Madras sont, comme on l’a déjà dit[2], sur la côte de la grande nababie de Carnate, que les Européans appellent toujours un royaume. Le parti anglais, avec cinq ou six cents hommes de sa nation tout au plus, et le parti français, avec le même nombre de la sienne, protégeaient depuis longtemps chacun son nabab ; et c’était toujours à qui ferait un souverain.

Le chevalier de Soupire, maréchal de camp, était depuis longtemps dans la province d’Arcate avec quelques soldats français, quelques noirs, et quelques cipayes mal armés et mal payés. Le chevalier de Soupire[3] se plaignait aussi qu’ils ne fussent point vêtus ; mais ce n’est pas un grand mal dans la zone torride. Il y a dans cette province un poste qu’on dit de la plus grande importance : c’est la forteresse de Vandavachi, qui couvrait les établissements des Français. Vandavachi est situé dans une petite île formée par des rivières. La colonie française était encore maîtresse de cette place : les Anglais vinrent pour l’attaquer. Le comte de Lally marcha pour la secourir avec quatre cents hommes, et les Anglais n’osèrent l’attendre. Ils revinrent quelques mois après au nombre de deux cents Européans et de quatre mille noirs ; et M. de Geoghegan, avec onze cents hommes seulement, remporta sur eux une victoire complète.

Une chose qu’on ne voit guère que dans ce pays-là, c’est que

  1. M. de Lally avait donné l’ordre en décembre, étant encore devant Madras ; il ne fut exécuté qu’après son retour, et dans le mois de mars. Cependant le secours n’arriva que deux jours après la prise de la place. Mais nous nous garderons bien d’entrer dans tous les petits détails des querelles entre MM. de Lally et de Moracin, entre MM. de Moracin et de Leirit, entre tant de plaintes réciproques. S’il fallait détailler toutes ces misères de tant d’Européans transplantés dans l’Inde, on ferait un livre beaucoup plus gros que l’Encyclopédie. On ne saurait trop étendre les sciences, et trop resserrer le tableau des faiblesses humaines. (Note de Voltaire.)
  2. Page 92.
  3. Voltaire connaissait beaucoup ce chevalier, qui vint le voir à Ferney avant de partir pour l’Inde, et avec lequel il fut en correspondance.