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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/174

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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

de nos officiers. On sort avec plaisir d’un chaos si triste pour retourner à la contemplation philosophique de l’Inde, et pour examiner avec attention cette vaste et ancienne partie de la terre, que certainement les prévarications du jésuite Lavaur, et les mensonges imprimés du jésuite Martin, et même les miracles attribués à François Xavero, appelé chez nous Xavier, ne nous feront jamais connaître.

C’est d’abord une remarque très-importante que Pythagore alla de Samos au Gange pour apprendre la géométrie, il y a environ deux mille cinq cents ans au moins, et plus de sept cents ans avant notre ère vulgaire, si récemment adoptée par nous. Or, certainement Pythagore n’aurait pas entrepris un si étrange voyage si la réputation de la science des brachmanes n’avait été dès longtemps établie de proche en proche en Europe, et si plusieurs voyageurs n’avaient déjà enseigné la route.

On sait avec quelle lenteur tout s’établit : ce ne sont pas des prêtres égyptiens qui auront d’abord couru dans l’Inde pour s’instruire. Ils étaient trop infatués du peu qu’ils savaient. Leurs intrigues et leurs propres superstitions occupaient toute leur vie sédentaire. La mer leur était en horreur ; c’était leur Typhon. Nul auteur ne parle d’aucun prêtre d’Égypte qui ait voyagé. Ennemis des étrangers, ils se seraient crus souillés de manger avec eux : il fallait qu’un étranger se fît couper le prépuce pour être admis à leur parler : un lévite n’était pas plus insociable.

Il est vraisemblable que des marchands arabes furent les premiers qui passèrent dans l’Inde, dont ils étaient voisins. L’intérêt est plus ancien que la science. On alla chercher des épiceries pendant des siècles avant de chercher des vérités.

Nous avons observé ailleurs[1] que, dans l’histoire allégorique de Job[2] écrite en arabe longtemps avant le Pentateuque, ce Job parle du commerce des Indes et de ses toiles peintes.

Nous avons rapporté[3] que l’histoire de Bacchus, né en Arabie, était fort antérieure à Job. Son voyage dans l’Inde est aussi certain qu’une ancienne histoire peut l’être ; mais il est encore plus certain que les Arabes chargèrent cet événement de plus de fables qu’ils n’en mirent depuis dans leurs Mille et une Nuits. Ils firent de Bacchus un conquérant musicien, débauché, ivrogne, magicien, et dieu. Des rayons de lumière lui sortaient de la tête ; une

  1. Tome XVII, page 342.
  2. Job, cap. XXVIII, v. 16. (Note de Voltaire.)
  3. Tome XVII, pages 516 et suiv. ; XXVI, 201.