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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/244

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FRAGMENT

ni leurs mœurs, ni leur langage, ni leur écriture, ni leurs usages, n’ont rien de l’antique Égypte. Ils ne connurent jamais la circoncision : aucune des divinités égyptiennes ne parvint jusqu’à eux : ils ignorèrent toujours les mystères d’Isis.

M. de Pauw, auteur des Recherches philosophiques, a traité d’absurde ce système qui fait des Chinois une colonie égyptienne, et il se fonde sur les raisons les plus fortes. Nous ne sommes pas assez savants pour nous servir du mot absurde ; nous persistons seulement dans notre opinion que la Chine ne doit rien à l’Égypte. Le P. Parennin l’a démontré à M. de Mairan. Quelle étrange idée dans deux ou trois têtes de Français qui n’étaient jamais sortis de leur pays, de prétendre que l’Égypte s’était transportée à la Chine, quand aucun Chinois, aucun Égyptien n’a jamais avancé une telle fable !

D’autres ont prétendu que ces Chinois si doux, si tranquilles, si aisés à subjuguer et à gouverner, ont, dans les anciens temps, sacrifié des hommes à je ne sais quel dieu, et qu’ils en ont mangé quelquefois. Il est digne de notre esprit de contradiction de dire que les Chinois immolaient des hommes à Dieu, et qu’ils ne reconnaissaient pas de Dieu. Pour le reproche de s’être nourris de chair humaine, voici ce que le P. Parennin avoue à M. Mairan[1].

« Enfin, si l’on ne distingue pas les temps de calamités des temps ordinaires, on pourra dire de presque toutes les nations, et de celles qui sont les mieux policées, ce que des Arabes ont dit des Chinois : car on ne nie pas ici que des hommes réduits à la dernière extrémité n’aient quelquefois mangé de la chair humaine ; mais on ne parle aujourd’hui qu’avec horreur de ces malheureux temps, auxquels, disent les Chinois, le ciel, irrité contre la malice des hommes, les punissait par le fléau de la famine, qui les portait aux plus grands excès.

« Je n’ai pas trouvé néanmoins que ces horreurs soient arrivées sous la dynastie des Tang, qui est le temps auquel ces Arabes assurent qu’ils sont venus à la Chine, mais à la fin de la dynastie des Han, au iie siècle après Jésus-Christ. »

Ces Arabes dont parlent MM. de Mairan et Parennin sont les mêmes que nous avons déjà cités ailleurs[2]. Ils voyagèrent, comme nous l’avons dit, à la Chine, au milieu du ixe siècle, quatre cents

  1. Dans sa lettre datée de Pékin du 11 août 1730, page 163, tome XXX des Lettres édifiantes, édition de Paris, 1731. (Note de Voltaire.)
  2. Tome XVII, page 268.