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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/255

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SUR L’HISTOIRE GÉNÉRALE.

Julien[1] avec quelque modération, et le défendre contre plusieurs calomnies grossières dont on chargeait sa mémoire, n’a pas osé pourtant le justifier sur son attachement à l’ancienne religion de l’empire. Il le représente comme un superstitieux qui croyait combattre une autre superstition[2]. Nous eûmes une autre idée de Julien ; il était certainement un stoïcien rigide. Sa religion était celle du grand Marc-Aurèle, et du plus grand Épictète. Il nous semblait impossible qu’un tel philosophe adorât sincèrement Hécate, Pluton, Cybèle ; qu’il crût lire l’avenir dans le foie d’un bœuf ; qu’il fût persuadé de la vérité des oracles et des augures, dont Cicéron s’était tant moqué.

En un mot, l’auteur de la satire des Césars ne nous parut pas un fanatique, c’est-à-dire un furieux imbécile. Une forte preuve, c’est qu’il donna souvent bataille malgré des auspices que tous ses prêtres croyaient funestes. Il courut même, en dépit d’eux, à son dernier combat, où il fut tué au milieu de ses victoires.

L’auteur du livre de la Félicité publique[3], homme en effet digne de la faire, cette félicité, si elle était au pouvoir d’un sage, semble n’être pas de notre avis en ce point ; et par conséquent il nous a réduit à nous défier longtemps de notre opinion. « Julien, dit-il, au lieu de montrer sur le trône un philosophe impartial, ne fit voir en lui qu’un païen dévot. »

Les apparences en effet sont quelquefois pour l’estimable auteur de la Félicité publique. Julien paraît trop zélé pour l’ancien culte de sa patrie ; il fait trop de sacrifices ; il est trop prêtre. Jules César, tout grand pontife qu’il était, sacrifiait beaucoup moins.

Mais qu’on se représente l’état de l’empire sous Julien. Deux factions acharnées le partagent : l’une, à la vérité, divine dans son principe, mais s’écartant déjà de son origine par l’esprit de parti et par toutes les fureurs qui l’accompagnent ; l’autre, fondée sur l’erreur, et défendant cette erreur avec tout l’emportement qui se met à la place de la raison ; même opiniâtreté des deux côtés, mêmes fraudes, mêmes calomnies, mêmes complots, mêmes barbaries, même rage. La plupart des chrétiens, il faut l’avouer, éclairés d’abord par Dieu même, étaient aussi aveugles que ceux qu’on appela depuis païens.

Que pouvait faire un empereur politique entre ces deux fac-

  1. La première édition de l’Histoire de l’empereur Julien, par l’abbé de La Bléterie, est de 1735, in-12.
  2. La Bléterie a raison contre Voltaire. (G. A.)
  3. Par le marquis de Chastellux ; voyez dans son ouvrage, section II, chap. v ; son livre avait paru en 1771.