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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/275

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SUR L’HISTOIRE GÉNÉRALE.

Pensées, a insulté monseigneur le duc de Saxe-Gotha[1], MM. d’Erlach[2], Sinner, Diesbach, en les nommant par leur nom sans les connaître, sans leur avoir jamais parlé. C’est là que sa furieuse folie s’emporte jusqu’à ne connaître de héros que Cromwell et Cartouche, et à souhaiter que tout l’univers leur ressemble ; voici ses propres paroles :

« Les forfaits de Cromwell sont si beaux[3] que l’enfant bien né ne peut les entendre sans joindre les mains d’admiration. Une république[4] fondée par Cartouche aurait eu de plus sages lois que la république de Solon. »

Dans un autre libelle intitulé Examen de l’histoire de Henri IV[5], voici comme il s’exprime[6] :

« Je lis avec un charme infini, dans l’histoire du Mogol, que le petit-fils de Sha-Abas fut bercé pendant sept ans par des femmes ; qu’ensuite il fut bercé pendant huit ans par des hommes ; qu’on l’accoutuma de bonne heure à s’adorer lui-même, et à se croire formé d’un autre limon que ses sujets ; que tout ce qui l’environnait avait ordre de lui épargner le pénible soin d’agir, de penser, de vouloir, et de le rendre inhabile à toutes les fonctions du corps et de l’âme ; qu’en conséquence un prêtre le dispensait de la fatigue de prier de sa bouche le grand Être ; que certains officiers étaient préposés pour lui mâcher noblement, comme dit Rabelais, le peu de paroles qu’il avait à prononcer ; que d’autres lui tâtaient le pouls trois ou quatre fois le jour comme à un agonisant ; qu’à son lever, qu’à son coucher, trente seigneurs accouraient, l’un pour lui dénouer l’aiguillette, l’autre pour le déconstiper ; celui-ci pour l’accoutrer d’une chemise, celui-là pour l’armer d’un cimeterre, chacun pour s’emparer du membre dont il avait la surintendance. Ces particularités me plaisent, parce qu’elles me donnent une idée nette du caractère des Indiens, et que d’ailleurs elles me font assez entrevoir celui du petit-fils de Sha-Abas pour me dispenser de lire tant d’épais volumes que les Indiens ont écrits sur les faits et gestes de cet empereur automate. »

  1. Mes Pensées (par La Beaumelle ) ; sixième édition, Londres, Nourse, 1732, petit in-12, n° cxiv, page 108.
  2. Ibid.,ccccxl, page 312.
  3. Ibid.,ccx, page 202.
  4. Ibid.,lxxxiii, page 79.
  5. Cet ouvrage, dont il est parlé dans une note, tome XV, page 532, est certainement de La Beaumelle ; il n’est plus permis d’en douter depuis l’article imprimé dans la France littéraire de M. Quérard ; voyez le tome IV de cet ouvrage, pages 329-30.
  6. Page 24.