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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/348

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désir, amour, instinct, pensée ? Non, mais nous voulons, nous agissons, nous aimons, nous avons des instincts ; comme, par exemple, une pente invincible vers certains objets, une aversion insupportable pour d’autres, une promptitude à exécuter des mouvements nécessaires à notre conservation, comme ceux de téter le mamelon de sa nourrice, de nager quand on a la force et la poitrine assez large, de mordre son pain, de boire, de se baisser pour éviter le coup d’un mobile, de se donner une secousse pour franchir un fossé, d’accomplir mille actions pareilles sans y penser, quoiqu’elles tiennent toutes à une mathématique profonde. Enfin nous sentons et nous pensons sans savoir comment.

De bonne foi, est-il plus difficile à Dieu d’opérer tout cela en nous par des moyens qui nous sont inconnus que de nous remuer intérieurement quelquefois par une faveur efficace de Jupiter, dont ces messieurs nous parlent sans cesse ?

Quel est l’homme qui, dès qu’il rentre en lui-même, ne sente qu’il est une marionnette de la Providence ? Je pense ; mais puis-je me donner une pensée ? Hélas ! si je pensais par moi-même, je saurais quelle idée j’aurais dans un moment. Personne ne le sait.

J’acquiers une connaissance ; mais je n’ai pu me la donner. Mon intelligence n’a pu en être la cause : car il faut que la cause contienne l’effet. Or ma première connaissance acquise n’était pas dans mon intelligence, n’était pas dans moi ; puisqu’elle a été la première, elle m’a été donnée par celui qui m’a formé et qui donne tout, quel qu’il puisse être.

Je tombe anéanti quand on me fait voir que ma première connaissance ne peut par elle-même m’en donner une seconde : car il faudrait qu’elle la contînt dans elle.

La preuve que nous ne nous donnons aucune idée, c’est que nous en recevons dans nos rêves ; et certainement ce n’est ni notre volonté ni notre attention qui nous fait penser en songe. Il y a des poëtes qui font des vers en dormant[1], des géomètres qui mesurent des triangles. Tout nous prouve qu’il y a une puissance qui agit en nous sans nous consulter.

Tous nos sentiments ne sont-ils pas involontaires ? L’ouïe, le goût, la vue, ne sont rien par eux-mêmes. On sent malgré soi ; on ne fait rien, on n’est rien sans une puissance suprême, qui fait tout.

  1. Voyez tome XX, page 435.