Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/479

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

naîtrais de la Chine que cette seule loi, je dirais : Voilà le peuple le plus juste et le plus humain de l’univers.

Si je creuse dans le fondement de leurs lois, tous les voyageurs, tous les missionnaires, amis et ennemis, Espagnols, Italiens, Portugais, Allemands, Français, se réunissent pour me dire que ces lois sont établies sur le pouvoir paternel, c’est-à-dire sur la loi la plus sacrée de la nature.

Ce gouvernement subsiste depuis quatre mille ans, de l’aveu de tous les savants, et nous sommes d’hier ; je suis forcé de croire et d’admirer. Si la Chine a été deux fois subjuguée par des Tartares, et si les vainqueurs se sont conformés aux lois des vaincus, j’admire encore davantage.

Je laisse là cette muraille de cinq cents lieues de long, bâtie deux cent vingt ans avant notre ère : c’est un ouvrage aussi vain qu’immense, et aussi malheureux qu’il parut d’abord utile, puisqu’il n’a pu défendre l’empire. Je ne parle pas du grand canal de six cent mille pas géométriques, qui joint le fleuve Jaune à tant d’autres rivières. Notre canal du Languedoc nous en donne quelque faible idée. Je passe sous silence des ponts de marbre de cent arches[1] construits sur des bras de mer, parce qu’après tout nous avons bâti le pont Saint-Esprit sur le Rhône dans le temps que nous étions encore à demi barbares, et parce que les Égyptiens élevèrent leurs pyramides lorsqu’ils ne savaient pas encore penser.

Je ne ferai nulle mention de la prodigieuse magnificence des cours chinoises, car l’installation de quelques-uns de nos papes eut aussi quelque splendeur, et la promulgation de la bulle d’or[2] à Nuremberg ne fut pas sans faste.

J’ai plus de plaisir à lire les maximes de Confucius, prédécesseur de saint Martin de plus de mille ans, qu’à contempler l’estampe d’un mandarin faisant son entrée dans une ville à la tête d’une procession ; permettez-moi de rapporter ici quelques-unes de ces sentences.

« La raison est un miroir qu’on a reçu du ciel ; il se ternit, il faut l’essuyer. Il faut commencer par se corriger pour corriger les hommes.

  1. Je suis fâché de ne pouvoir ni bien prononcer ni bien écrire Fou-tchou-fou, ville capitale de la grande province de Fokien ; c’est auprès de Fou-tchou-fou qu’est ce beau pont ; et, ce qu’il y a de mieux, c’est que les environs sont couverts d’orangers, de citronniers, de cédrats et de cannes de sucre. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez tome XI, page 539 ; XIII, 410.