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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/502

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On laissa dire Pythagore, on se moqua d’Euphorbe, on se jeta à corps perdu, à la tête de Cerbère, dans le Styx et dans l’Achéron, et l’on paya chèrement des prêtres de Diane et d’Apollon qui vous en retiraient pour de l’argent comptant.

Les brachmanes et les lamas du Thibet furent presque les seuls qui s’en tinrent à la métempsycose. Il arriva qu’après la mort d’un grand lama, celui qui briguait la succession prétendit que l’âme du défunt était passée dans son corps ; il fut élu, et il introduisit la coutume de léguer son âme à son successeur. Ainsi tout grand lama élève auprès de lui un jeune homme, soit son fils, soit son parent, soit un étranger adopté, qui prend la place du grand-prêtre dès que le siège est vacant. C’est ainsi que nous disons en France que le roi ne meurt point. C’est là, si je ne me trompe, tout le mystère. Le mort saisit le vif ; et le bon peuple, qui ne voit ni les derniers moments du défunt, ni l’installation du successeur, croit toujours que son grand lama est immortel, infaillible, et impeccable.

Le Père Gerberon, qui accompagna si souvent l’empereur Kang-hi dans ses parties de chasse en Tartarie, nous a pleinement instruits des précautions que ces pontifes prenaient pour ne point mourir. Voici ce qu’il raconte dans une de ses lettres écrites en 1697[1] :

Le dalaï-lama, attaqué d’une maladie mortelle dans son palais de roseaux et de joncs, au Thibet, ne pouvait laisser son sceptre et sa mitre à un petit bâtard d’un an, le seul enfant qui lui restait : cette place demandait un enfant de seize ans ; c’était l’âge de la majorité. Il recommanda, sous peine de damnation, à ses prêtres de cacher son décès pendant quinze années, et il écrivit une lettre à l’empereur Kang-hi, par laquelle il le mettait dans la confidence, et le suppliait de protéger son fils. Son clergé devait rendre la lettre, au bout de ce temps, par une ambassade solennelle, et cependant il était tenu de dire à tous ceux qui viendraient demander audience à Sa Sainteté qu’elle ne voyait personne, et qu’elle était en retraite. On ne parlait en Tartarie et à la Chine que de cette longue retraite du dalaï-lama ; l’empereur y fut trompé lui-même.

Enfin ce monarque s’étant avancé jusqu’à la ville de Nianga, auprès de la grand muraille, lorsque les quinze ans étaient écoulés, l’ambassade sacerdotale parut, et la lettre fut rendue ; mais

  1. Voyez le tome IV de la Collection de Duhalde, page 466, édition de Hollande. (Note de Voltaire.)