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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/68

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à nos pères tient des registres funestes des prêteurs sur gages, et persécute les gens de bien. On ose fausser les boutons d’un homme qui va acheter une charge de conseiller. Tous crient que la noblesse n’est, depuis quelques années, qu’un amas de petits tyrans escrocs, insolents et lâches, qui vexent les bons sujets du roi autant qu’ils servent mal l’État. On répand partout que M. de Morangiés a voulu payer ses créanciers en les faisant pendre. On le dit dans les plaidoyers : on l’imprime dans les mémoires ; on parvient à le faire croire à la moitié de Paris. Un des avocats qui ont voulu se signaler en écrivant contre lui pousse l’indécence jusqu’à supputer les sommes que M. de Morangiés a dû donner à la police.

Le comte de Morangiés, son père, lieutenant général des armées du roi, respectable vieillard, chéri et estimé généralement ; ses frères, qui jouissent du même avantage ; toute sa famille enfin, vend le peu de meubles qui lui reste pour soutenir ce procès affreux ; elle paye quelques dettes pressées, elle se réduit à la pauvreté la plus grande et la plus honorable. La cabale crie que c’est avec l’argent des Du Jonquay qu’elle a fait ces dépenses, et cette infâme imposture est répétée par des écumeurs de barreau et par des usuriers de Paris.

La noblesse du Gévaudan écrit la lettre la plus forte en faveur du comte de Morangiés : c’est une lettre mendiée, c’est une conjuration contre le tiers état.

Un avocat célèbre[1] prend-il en main la défense de l’accusé, sans espoir de rétribution, tous les cafés, tous les cabarets, tous les lieux moins honnêtes, retentissent des injures qu’on lui prodigue : c’est à la fois un impudent et un lâche ; c’est un espion de la police ; on veut le rendre exécrable parce qu’il soutint, il y a quelque temps, la cause d’un officier général[2] qui avait battu et chassé les Anglais descendus en France, et qui avait hasardé son sang pour sauver la patrie.

Cet avocat a pour son frère et pour lui une cuisinière et un petit carrosse. Est-il une preuve plus éclatante qu’il a partagé les cent mille écus avec le comte de Morangiés, et que la police en a eu sa part ? On le poursuit par vingt libelles, on le déchire encore plus qu’on n’insulte son client.

Dans cette prodigieuse effervescence on va jusqu’à soutenir que jamais la maison de Morangiés n’a eu de forêt, qu’il ne lui

  1. Linguet.
  2. Le duc d’Aiguillon ; voyez tome XV, page 370.