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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/70

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nœuds, de belles aigrettes, qui convenaient parfaitement à une personne d’environ quatre-vingts ans ?

— Oui, monsieur, de belles aigrettes, de beaux bracelets à la nouvelle mode, » répond l’une de ces sœurs. La femme Romain, fille de la veuve Véron, et mère de Du Jonquay, répond au contraire que la veuve Véron, sa mère, n’avait rien de tout cela, et qu’elle ne croyait pas qu’elle eût jamais eu un diamant fin.

Cette même femme Romain, mère de Du Jonquay, interrogée si les richesses secrètes de la veuve Véron ne venaient pas d’un fidéicommis secret de son mari, et de la générosité secrète d’un banqueroutier nommé Chotard, répond que non, que rien n’est plus faux.

« Mais, madame, vos avocats ont plaidé, ont imprimé cette anecdote.

— Ils ont eu tort, » réplique-t-elle.

Le juge demande à Du Jonquay s’il n’y avait pas cent mille écus en or à son troisième étage, dans l’armoire à linge de la veuve Véron, sa grand’mère. » Oui, monsieur, et c’est ma mère Romain qui m’en a donné la clef, pour porter ces cent mille écus secrètement, en treize voyages à pied, chez M. de Morangiés[1] »

La mère Romain répond que cela n’est pas vrai, que son fils Du Jonquay a pris la clef des mains de la Véron, sa grand’mère.

Après toutes ces contradictions, on interroge les témoins qui ont été emprisonnés comme subornés par M. de Morangiés ; on ne trouve pas, malheureusement, le plus léger indice de subornation, de séduction.

Enfin on prononce la sentence[2]. Cette sentence déclare d’abord que M. de Morangiés, mis en prison pour avoir suborné des témoins, en est parfaitement innocent, et qu’en conséquence il payera aux Du Jonquay trois cent mille livres qui font le fonds de l’affaire avec les intérêts, plus vingt mille livres de dépens, plus trois mille au cocher qui a déposé contre lui, plus quinze cents livres solidairement avec les officiers de police : le tout sans dire un mot de l’usure stipulée par Du Jonquay, et punissable par les lois.

Et comme le juge reconnaît avoir emprisonné injustement M. de Morangiés, il le condamne à garder prison ; en outre à être

  1. Si toutes ces contradictions rapportées par l’avocat de M. de Morangiés ne sont pas une preuve évidente du complot le plus absurde et le plus ridicule qu’on ait jamais formé, il faut vivre désormais dans un scepticisme imbécile : il n’y a plus de caractère de vérité sur la terre ; il n’y a plus de juste et d’injuste. (Note de Voltaire.)
  2. Le 28 mai 1773.