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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/146

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CORRESPONDANCE.

prétendre aux postes qui sont d’ordinaire la récompense de ces emplois. M. Dubourg, ci-devant secrétaire du comte de Luc (et à ses gages), est maintenant chargé, à Vienne, des affaires de la cour de France, avec huit mille livres d’appointements. Si vous aviez voulu, j’ose vous répondre qu’une pareille fortune vous était assurée. Quant aux gages, qui vous révoltent si fort, et pourtant si mal à propos, vous auriez pu n’en point prendre ; et, puisque vous pouvez vous passer de secours dans la maison de M. de Bernières, vous l’auriez pu encore plus aisément dans la maison de l’ambassadeur de France, et peut-être n’auriez-vous point rougi de recevoir de la main de celui qui représente le roi des présents qui eussent mieux valu que des appointements.

Vous avez refusé l’emploi le plus honnête et le plus utile qui se présentera jamais pour vous. Je suppose que vous n’avez fait ce refus qu’après y avoir mûrement réfléchi, et que vous êtes sûr de ne vous en point repentir le reste de votre vie. Si c’est Mme de Bernières qui vous y a porté, elle vous a donné un très-méchant conseil ; si vous avez craint effectivement, comme vous le dites, de vous constituer domestique de grand seigneur, cela n’est pas tolérable. Quelle fortune avez-vous donc faite depuis le temps où le comble de vos désirs était d’être ou secrétaire du duc de Richelieu, qui n’était point ambassadeur, ou commis des Paris ? En bonne foi, y a-t-il aucun de vos frères qui ne regardât comme une très-grande fortune le poste que vous dédaignez ?

Ce que je vous écris ici est pour vous faire voir l’énormité de votre tort, et non pour vous faire changer de sentiments. Il fallait sentir l’avantage qu’on vous offrait ; il fallait l’accepter avidement, et vous y consacrer tout entier, ou ne le point accepter du tout. Si vous le faisiez avec regret, vous le feriez mal ; et, au lieu des agréments infinis que vous y pourriez espérer, vous n’y trouveriez que des dégoûts et point de fortune. N’y pensons donc plus, et préférez la pauvreté et l’oisiveté à une fortune très-honnête et à un poste envié de tant de gens de lettres, et que je ne céderais à personne qu’à vous si je pouvais l’occuper. Un jour viendra bien sûrement que vous en aurez des regrets, car vos idées se rectifieront, et vous penserez plus solidement que vous ne faites. Toutes les raisons que vous m’avez apportées vous paraîtront un jour bien frivoles, et, entre autres, ce que vous me dites qu’il faudrait dépenser en habits et en parures vos appointements. Vous ignorez que, dans toutes les cours, un secrétaire est toujours modestement vêtu, s’il est sage, et qu’à la cour de l’empereur, il ne faut qu’un gros drap rouge, avec des bouton-