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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/237

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ANNÉE 1731.

Le style faible, non-seulement en tragédie, mais en toute poésie, consiste encore à laisser tomber ses vers deux à deux sans entremêler de longues périodes et de courtes, et sans varier la mesure ; à rimer trop en épithètes ; à prodiguer des expressions trop communes ; à répéter souvent les mêmes mots ; à ne pas se servir à propos des conjonctions, qui paraissent inutiles aux esprits peu instruits, et qui contribuent cependant beaucoup à l’élégance du discours :

Tantum series juncturaque pollet !

(De Arte poet., 242.)

Ce sont toutes ces finesses imperceptibles qui font en même temps et la difficulté et la perfection de l’art :

In tenui labor ; at tenuis non gloria.

(Georg., IV, 6.)

J’ouvre dans ce moment le volume des tragédies de M. de Campistron, et je vois à la première scène de l’Alcibiade :

Quelle que soit pour nous la tendresse des rois,
Un moment leur suffit pour faire un autre choix.

Je dis que ces vers, sans être absolument mauvais, sont faibles et sans beauté.

Pierre Corneille, ayant la même chose à dire, s’exprime ainsi :

Et malgré ce pouvoir dont l’éclat nous séduit,
Sitôt qu’il nous veut perdre, un coup d’œil nous détruit[1].

Ce quelle que soit de l′Alcibiade fait languir le vers : de plus un moment leur suffit pour faire un autre choix ne fait pas, à beaucoup près, une peinture aussi vive que ce vers :

Sitôt qu’il nous veut perdre, un coup d’ceil nous détruit.

Je trouve encore :

Mille exemples connus de ces fameux revers…
Affaiblit notre empire, et dans mille combats…
Nous cachent mille soins dont il est agité…
Il a mille vertus dignes du diadème…

  1. Corneille a dit dans Othon, acte II, scène iv :


    Et quoi que nos emplois puissent faire de bruit,
    Sitôt qu’il nous veut perdre, un coup d’œil nous détruit.