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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/278

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CORRESPONDANCE.

mais je veux qu’auparavant elle soit jugée par vous et par M. de Cideville, les deux meilleurs magistrats de mon parlement. J’écrivis hier à notre cher Cideville, mais j’étais si pressé que je ne lui mandai rien du tout. Vous aurez aujourd’hui la petite épigramme, assez naïve à mon sens, sur Néricault Destouches :

Néricault, dans sa comédie,
Croit qu’il a peint le glorieux ;
Pour moi je crois, quoi qu’il nous die,
Que sa préface le peint mieux.

D’ailleurs, il n’y a rien ici qui vaille, en ouvrages nouveaux. Nous allons avoir, cet été, une comédie en prose, du sieur Marivaux, sous le titre des Serments indiscrets[1]. Vous croyez bien qu’il y aura beaucoup de métaphysique et peu de naturel ; et que les cafés applaudiront, pendant que les honnêtes gens n’entendront rien.

Vous savez que la petite Dufresne[2], in articulo mortis, a signé un beau billet conçu en ces termes : « Je promets à Dieu et à M. le curé de Saint-Sulpice de ne jamais remonter sur le théâtre. » Tout le monde dit : « Oh ! le beau billet qu’a La Châtre ! » Pour nous autres Fontaine-Martel, nous jouons la comédie assez régulièrement. Nous répétâmes hier la nouvelle Ériphyle. Nous faisons quelquefois bonne chère, assez souvent mauvaise ; mais, soit qu’on meure de faim ou qu’on se crève, on dit toujours : « Ah ! si M. de Formont était là ! » Adieu, mon cher ami ; personne ne vous aime plus tendrement que, etc.



258. — À M. DE CIDEVILLE.
Paris, ce 2 mai 1732.

Jore est parti, mon cher ami, avec un ouvrage que je regrette, et un autre pour qui je crains : c’est le vôtre que je voudrais bien n’avoir pas perdu, et c’est le mien que je tremble de donner au public. Jore doit vous rendre ballet et tragédie. Vous trouverez Ériphyle bien changée ; lisez-la, je vous prie, avec notre aimable et judicieux ami, et dites-moi l’un et l’autre ce que vous en pen-

  1. Pièce en cinq actes, jouée le 8 juin 1732.
  2. Mlle Deseine, qui avait épousé, en 1727, A.-A. Quinault-Dufresne, et que Voltaire appelle la petite Dufresne parce qu’elle était d’une taille médiocre, avait débuté en 1724. Elle quitta le théâtre en décembre 1732, mais y remonta en mai 1733, se retira définitivement en 1736, et mourut en 1759.