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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/32

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CORRESPONDANCE.

Il est certain qu’il n’est point de dieu qui ne dût vous prendre pour modèle, et il n’en est point qu’on doive imiter : ce sont des ivrognes, des jaloux, et des débauchés. On me dira peut-être :

Avec quelle irrévérence
Parle des dieux ce maraud[1] !

Mais c’est assez parler des dieux, venons aux hommes. Lorsque je suis en train de badiner, j’apprends par Lefèvre qu’on vous a soupçonnée hier : c’est à coup sûr la fille qui vous annonça qui est la cause de ce soupçon qu’on a ici ; ledit Lefèvre vous instruira de tout, c’est un garçon d’esprit, et qui m’est fort affectionné ; il s’est tiré très-bien de l’interrogatoire de Son Excellence. On compte de nous surprendre ce soir ; mais ce que l’amour garde est bien gardé : je sauterai par les fenêtres, et je viendrai sur la brune chez ***, si je le puis. Lefèvre viendra chercher mes habits sur les quatre heures ; attendez-moi sur les cinq en bas, et si je ne viens pas, c’est que je ne le pourrai absolument point. Ne nous attendrissons pas en vain ; ce n’est plus par des lettres que nous devons témoigner notre amour, c’est en vous rendant service. Je pars vendredi avec M. de M***; que je vienne vous voir, ou que je n’y vienne point, envoyez-moi toujours ce soir vos lettres par Lefèvre, qui viendra les quérir ; gardez-vous de madame votre mère, gardez un secret inviolable ; attendez patiemment les réponses de Paris ; soyez toujours prête pour partir ; quelque chose qui arrive, je vous verrai avant mon départ : tout ira bien, pourvu que vous vouliez venir en France, et quitter une mère barbare pour retourner dans les bras d’un père. Comme on avait ordonné à Lefèvre de rendre toutes mes lettres à Son Excellence, j’en ai écrit une fausse que j’ai fait remettre entre ses mains ; elle ne contient que des louanges pour vous et pour lui, qui ne sont point affectées. Lefèvre vous rendra compte de tout. Adieu, mon cher cœur ; aimez-moi toujours, et ne croyez pas que je ne hasarderai pas ma vie pour vous.

Arouet.


11. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

À la Haye, le 6 décembre 1713.

On a découvert notre entrevue d’hier, ma charmante demoiselle : l’amour nous excuse l’un et l’autre envers nous-mêmes,

  1. Amphitryon, acte I, scène II.