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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/34

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CORRESPONDANCE.

doute que t’attrister, au lieu de te consoler. Juge du désordre où est mon cœur par le désordre de ma lettre ; mais, malgré ce triste état, je fais un effort sur moi ; imite-moi si tu m’aimes. Adieu encore une fois, ma chère maîtresse ; adieu, ma belle Olympe ; je ne pourrai point vivre à Paris si je ne t’y vois bientôt. Songe à dater toutes tes lettres.

Arouet.


12. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Ce dimanche au soir, 10 décembre.

Je vous écris une seconde fois, ma pauvre Olympe, pour vous demander pardon de vous avoir grondée ce matin, et pour vous gronder encore mieux ce soir, au hasard de vous demander pardon demain. Quoi ! vous voulez parler à M. L***[1] ? Eh ! ne savez-vous pas que ce qu’il craint le plus c’est de paraître favoriser votre retraite ? Il craint votre mère, il veut ménager les excellences : vous devez vous-même craindre les uns et les autres, et ne point vous exposer d’un côté à être enfermée, et de l’autre à recevoir un affront. Lefèvre m’a rapporté que votre mère[2]..., et que vous êtes malade. Le cœur m’a saigné à ce récit ; je suis coupable de tous vos malheurs, et, quoique je les partage avec vous, vous n’en souffrez pas moins. C’est une chose bien triste pour moi que mon amour ne vous ait encore produit qu’une source de chagrins ; le triste état où je suis réduit moi-même ne me permet pas de vous donner aucune consolation, vous devez la trouver dans vous-même. Songez que vos peines finiront bientôt, et tâchez du moins d’adoucir un peu la maligne férocité de votre mère ; représentez-lui doucement qu’elle vous fera mourir. Ce discours ne la touchera pas, mais il faudra qu’elle paraisse en être touchée ; ne lui parlez jamais ni de moi, ni de la France, ni de M. L***[3] ; surtout gardez-vous de venir à l’hôtel. Ma chère Pimpette, suivez mes conseils une fois, vous prendrez votre revanche le reste de ma vie, et je ferai toujours vœu de vous obéir. Adieu, mon cher cœur ; nous sommes tous deux dans des circonstances fort tristes ; mais nous nous aimons, voilà la plus douce consolation que nous puissions avoir. Je ne vous demande pas votre

  1. L’ambassadeur.
  2. Beuchot pense qu’il faut lire : vous a battue, ou frappée ; voyez la lettre 16, page 21.
  3. L’ambassadeur.