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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/439

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plus parler de lui ? N’est-il point à Pont-de-Veyle, avec madame votre mère ?

Si vous voyez M. Hérault, sachez, je vous eu prie, ce qu’aura dit le libraire qui est à la Bastille ; et encouragez ledit M. Hérault à me faire, auprès du bon cardinal[1] et de l’opiniâtre Chauvelin, tout le bien qu’il pourra humainement me faire.

Je vais vous parler avec la confiance que je vous dois, et qu’on ne peut s’empêcher d’avoir pour un cœur comme le vôtre. Quand je donnai permission, il y a deux ans, à Thieriot d’imprimer ces maudites Lettres, je m’étais arrangé pour sortir de France, et aller jouir, dans un pays libre, du plus grand avantage que je connaisse, et du plus beau droit de l’humanité, qui est de ne dépendre que des lois, et non du caprice des hommes. J’étais très-déterminé à cette idée ; l’amitié seule m’a fait entièrement changer de résolution, et m’a rendu ce pays-ci plus cher que je ne l’espérais. Vous êtes assurément à la tête des personnes que j’aime ; et ce que vous avez bien voulu faire pour moi, dans cette occasion, m’attache à vous bien davantage, et me fait souhaiter plus que jamais d’habiter le pays où vous êtes. Vous savez tout ce que je dois à la généreuse amitié de Mme du Chàtelet, qui avait laissé un domestique à Paris pour m’apporter en poste les premières nouvelles. Vous eûtes la bonté de m’écrire ce que j’avais à craindre ; et c’est à vous et à elle que je dois la liberté dont je jouis. Tout ce qui me trouble à présent, c’est que ceux qui peuvent savoir la vivacité des démarches de Mme du Chàtelet, et qui n’ont pas un cœur aussi tendre et aussi vertueux que vous, ne rendent pas à l’extrême amitié et aux sentiments respectables dont elle m’honore toute la justice que sa conduite mérite. Cela me désespérerait, et c’est en ce cas surtout que j’attends de votre générosité que vous fermerez la bouche à ceux qui pourraient devant vous calomnier une amitié si vraie et si peu commune.

Faites-moi la grâce, je vous en prie, de m’écrire où en sont les choses ; si M. de Chauvelin s’adoucit, si M. Rouillé peut me servir auprès de lui, si M. l’abbé de Rothelin peut m’être utile. Je crois que je ne dois pas trop me remuer dans ces commencements, et que je dois attendre du temps l’adoucissement qu’il met à toutes les affaires ; mais aussi il est bon de ne pas m’endormir entièrement sur l’espérance que le temps seul me servira.

Je n’ai point suivi les conseils que vous me donniez de me

  1. Le bon cardinal est le cardinal de Fleury, alors premier ministre. Voyez ce que Voltaire en dit, tome XV (chapitre vu du Précis du Siècle de Louis XV) ; tomes XXI, page 14 XXII, 180 ; XXIV, 117