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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/551

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d’opéras, de feuilles volantes, m’est venue. Ah ! mon ami, quelle barbarie et quelle misère ! la nature est épuisée. Le siècle de Louis XIV a tout pris pour lui. Vergimus ad fæces. Je suis si ennuyé que je n’ai pas la force de m’indigner contre l’abbé Desfontaines. Mais vous, qui avez de l’amitié pour moi, et qui savez ce que j’ai fait pour lui, pouvez-vous souffrir la manière pleine d’ingratitude et d’injustice dont il parle de moi dans ses feuilles ? Je n’avais pas lu ses impertinences hebdomadaires, quand je le priai[1], il y a quelques jours, de vouloir bien me rendre un petit service : c’était au sujet de cette misérable édition de la Mort de César. Je le priais d’avertir le public que, non-seulement je n’ai aucune part à cette impression, mais que mon ouvrage est tout à fait différent. Je ne sais s’il aura eu assez de probité pour s’acquitter auprès du public de cette petite commission, sans mêler, dans son avertissement, quelque trait de satire et de calomnie. Cependant il m’est important qu’on sache la vérité, et je vous prie d’engager, soit l’abbé Desfontaines, soit le Mercure, soit le Pour et Contre, à me rendre en deux mots cette justice.

J’ai lu la nouvelle Critique[2] des Lettres philosophiques : c’est l’ouvrage d’un ignorant, incapable d’écrire, de penser, et de m’entendre. Je ne crois pas qu’il y ait un honnête homme qui ait pu achever cette lecture. Vous croyez bien que je ne tire pas même vanité des injures que me dit ce misérable ; mais j’avoue que je suis blessé des calomnies personnelles que ces gredins répètent sans cesse. Les cris de la canaille ne peuvent rien contre la réputation d’un écrivain qui a les suffrages du public ; mais les accusations infamantes désolent toujours un honnête homme. De quel front ces lâches calomniateurs osent-ils dire que j’ai trompé mon libraire, dans l’édition des Lettres philosophiques, à Londres ? N’êtes-vous pas intéressé à réfuter cette accusation ? Qu’on me dise un peu par quelle rage les gens de lettres s’acharnent à me reprocher ma fortune et l’usage que j’en fais, à moi qui ai prêté et donné tout mon bien ; à moi, qui ai nourri, logé, et entretenu, comme mes enfants, deux gens de lettres[3] pendant tout le temps que j’ai demeuré à Paris, après la mort de Mme de Fontaine-Martel. Q’on me dise quel est le libraire qui peut se plaindre de moi. Il n’y en a aucun de tous ceux que j’ai employés, à qui je n’aie fait gagner de l’argent, et à qui je n’aie remis partie de ce qu’ils me devaient. Je suis honteux d’entrer dans ces détails ;

  1. Voyez la lettre 506.
  2. Réponse ou Critique des Lettres philosophiques ; voyez tome XXII, page 81.
  3. Linant et Lefebvre.