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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/124

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réussi qu’il s’attend dans peu à combattre les principales forces de la reine de Hongrie, pour le service de son allié.

Voilà de la générosité, diriez-vous, voilà de l’héroïsme ; cependant, cher Voltaire, le premier tableau et celui-ci sont les mêmes. C’est la même femme qu’on fait voir d’abord en cornette de nuit, et ensuite avec son fard et ses pompons[1].

De combien de différentes façons n’envisage-t-on pas les objets ! Combien les jugements ne varient-ils point ! Les hommes condamnent le soir ce qu’ils ont approuvé le matin. Ce même soleil, qui leur plaisait à son aurore, les fatigue à son couchant. De là viennent ces réputations établies, effacées, et rétablies pourtant ; et nous sommes assez insensés de nous agiter pendant toute notre vie pour acquérir de la réputation Est-il possible qu’on ne soit pas détrompé de cette fausse monnaie, depuis le temps qu’elle est connue ?

Je ne vous écris point de vers, parce que je n’ai pas le temps de toiser des syllabes. Souffrez que je vous fasse souvenir de l’Histoire de Louis XIV ; je vous menace de l’excommunication du Parnasse, si vous n’achevez pas cet ouvrage.

Adieu, cher Voltaire ; aimez un peu, je vous prie, ce transfuge d’Apollon, qui s’est enrôlé chez Bellone. Peut-être reviendra-t-il un jour servir sous ses vieux drapeaux. Je suis toujours votre admirateur et ami,

Fédéric.

1499. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Avril.

Sire, pendant que j’étais malade, Votre Majesté a fait de plus belles actions que je n’ai eu d’accès de fièvre. Je ne pouvais répondre aux dernières bontés de Votre Majesté. Où aurais-je d’ailleurs adressé ma lettre ? à Vienne ? à Presbourg ? à Temeswar ? Vous pouviez être dans quelqu’une de ces villes ; et même, s’il est un être qui puisse se trouver en plusieurs lieux à la fois, c’est assurément votre personne, en qualité d’image de la Divinité[2], ainsi que le sont tous les princes, et d’image très-pensante et très-agissante. Enfin, sire, je n’ai point écrit, parce que j’étais dans mon lit quand Votre Majesté courait à cheval au milieu des neiges et des succès.

  1. C’est ainsi qu’on lit dans les éditions de Kehl des Œuvres de Voltaire, et dans les éditions de Berlin, Liège et Londres, des Œuvres de Frédéric. Beuchot avait mis « C’est la même femme qu’on représente premièrement en cornette de nuit, lorsqu’elle se dépouille de ses charmes, et ensuite avec son fard, ses dents, et ses pompons. »
  2. Voltaire a expliqué pourquoi l’on donne aux rois le titre d’images de la Divinité voyez, tome XIX, page 318, la note 1.