réussi qu’il s’attend dans peu à combattre les principales forces de la reine de Hongrie, pour le service de son allié.
Voilà de la générosité, diriez-vous, voilà de l’héroïsme ; cependant, cher Voltaire, le premier tableau et celui-ci sont les mêmes. C’est la même femme qu’on fait voir d’abord en cornette de nuit, et ensuite avec son fard et ses pompons[1].
De combien de différentes façons n’envisage-t-on pas les objets ! Combien les jugements ne varient-ils point ! Les hommes condamnent le soir ce qu’ils ont approuvé le matin. Ce même soleil, qui leur plaisait à son aurore, les fatigue à son couchant. De là viennent ces réputations établies, effacées, et rétablies pourtant ; et nous sommes assez insensés de nous agiter pendant toute notre vie pour acquérir de la réputation Est-il possible qu’on ne soit pas détrompé de cette fausse monnaie, depuis le temps qu’elle est connue ?
Je ne vous écris point de vers, parce que je n’ai pas le temps de toiser des syllabes. Souffrez que je vous fasse souvenir de l’Histoire de Louis XIV ; je vous menace de l’excommunication du Parnasse, si vous n’achevez pas cet ouvrage.
Adieu, cher Voltaire ; aimez un peu, je vous prie, ce transfuge d’Apollon, qui s’est enrôlé chez Bellone. Peut-être reviendra-t-il un jour servir sous ses vieux drapeaux. Je suis toujours votre admirateur et ami,
Sire, pendant que j’étais malade, Votre Majesté a fait de plus belles actions que je n’ai eu d’accès de fièvre. Je ne pouvais répondre aux dernières bontés de Votre Majesté. Où aurais-je d’ailleurs adressé ma lettre ? à Vienne ? à Presbourg ? à Temeswar ? Vous pouviez être dans quelqu’une de ces villes ; et même, s’il est un être qui puisse se trouver en plusieurs lieux à la fois, c’est assurément votre personne, en qualité d’image de la Divinité[2], ainsi que le sont tous les princes, et d’image très-pensante et très-agissante. Enfin, sire, je n’ai point écrit, parce que j’étais dans mon lit quand Votre Majesté courait à cheval au milieu des neiges et des succès.
- ↑ C’est ainsi qu’on lit dans les éditions de Kehl des Œuvres de Voltaire, et dans les éditions de Berlin, Liège et Londres, des Œuvres de Frédéric. Beuchot avait mis « C’est la même femme qu’on représente premièrement en cornette de nuit, lorsqu’elle se dépouille de ses charmes, et ensuite avec son fard, ses dents, et ses pompons. »
- ↑ Voltaire a expliqué pourquoi l’on donne aux rois le titre d’images de la Divinité voyez, tome XIX, page 318, la note 1.