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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/158

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Cependant il y a toujours le petit nombre des élus, à la tête desquels je vous place. Ceux-là conduisent à la longue le troupeau Dux regit agmen ; mais ce n’est qu’à la longue, et il faut des années avant que les gens d’esprit aient repétri les sots.

Le Tartuffe essuya autrefois de plus violentes contradictions ; il fut enfin vengé des hypocrites. J’espère l’être des fanatiques car enfin Mahomet est Tartuffe le grand.

Nous en raisonnerons à Paris, c’est là ma plus chère espérance car vous y viendrez à ce Paris, et moi j’y serai dans deux ou trois mois[1].

10 septembre.

Tout ce griffonnage, mon cher ami, avait été écrit il y a huit jours. J’ai été voir le roi de Prusse avant de finir ma lettre. J’ai courageusement résisté aux belles propositions qu’il m’a faites. Il m’offre une belle maison à Berlin, et une jolie terre mais je préfère mon second étage dans la maison de Mme du Châtelet. Il m’assure de sa faveur et de la conservation de ma liberté, et je cours à Paris à mon esclavage et à la persécution. Je me crois un petit Athénien qui refuse les bontés du roi de Perse. Il y a pourtant une petite différence on était libre à Athènes, et je suis sûr qu’il y avait beaucoup de Cidevilles ; sans cela, comment aurait-on pu aimer sa patrie ? C’est beaucoup qu’il y en ait un en France, et que je puisse me flatter d’avoir bientôt la consolation de l’embrasser.

Mme du Châtelet fait toujours ici sa malheureuse guerre de chicane, et on craint à tout moment d’en voir une véritable et universelle. Quel acharnement ! Ne faudra-t-il pas faire la paix après la guerre ? Eh ! morbleu, que ne fait-on la paix tout d’un coup !

Adieu ; Mme du Châtelet vous fait ses compliments ; je vous regrette, je vous regrette, je vous aime, je voudrais passer avec vous ma vie.


1528. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Aix-la-Chapelle, 1er septembre.

Federicus Virgilio, salut. Je suis arrivé dans la capitale de Charlemagne et de tous les hypocondres. On m’a envoyé de Paris une lettre qui y court sous votre nom, et qui, de quelque auteur qu’elle puisse être, mériterait

  1. Voltaire rentra probablement à Paris vers la fin de décembre 1712.