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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/163

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l’esprit du roi, comme dans celui de Votre Éminence, sur cette petite affaire.

Je vais maintenant lui rendre compte, comme je le dois, de mon voyage à Aix-la-Chapelle.

Je ne partis que le 2 de ce mois. Je rencontrai en chemin un courrier du roi de Prusse, qui venait me réitérer ses ordres. Le roi voulut que je logeasse près de son appartement, et passa, deux jours consécutifs, quatre heures de suite dans ma chambre, avec cette bonté et cette familiarité qui entrent, comme vous savez, dans son caractère, et qui n’abaissent point un roi parce qu’on n’en abuse jamais. J’eus tout le temps de parler, avec beaucoup de liberté, sur ce que Votre Éminence m’avait prescrit, et le roi me parla avec une égale franchise.

D’abord il me demanda s’il était vrai que la nation fût si piquée contre lui, si le roi l’était, si vous l’étiez. Je répondis qu’en effet tous les Français avaient ressenti vivement une défection si inespérée ; qu’il ne m’appartenait pas de savoir comment pensait le roi, que je connaissais la modération de Votre Éminence, etc. Il daigna me parler beaucoup des raisons qui l’ont engagé à précipiter sa paix. Elles ne roulent point sur les prétendues négociations secrètes à la cour de Vienne[1], et desquelles Votre Éminence a bien voulu se justifier. Elles sont si singulières que j’ose douter qu’on en soit instruit en France. Cependant je n’ose les confier à cette lettre, sentant combien il me sied peu de toucher à des affaires si délicates.

Tout ce que j’ose dire, c’est qu’il m’a semblé très-aisé de ramener l’esprit de ce monarque, que la situation de ses États, son intérêt et son goût, semblent rendre l’allié naturel de la France.

Il m’a paru très-affligé de l’opinion que cet événement a fait concevoir de lui aux Français ; il m’a dit qu’il avait commencé un manifeste, mais qu’il le supprimerait. Il ajouta qu’il souhaitait passionnément de voir la Bohême aux mains de l’empereur, qu’il renonçait de la meilleure foi du monde à Berg et à Juliers ; que, malgré les propositions avantageuses que lui faisait le comte de Stair[2], il ne songeait qu’à garder la Silésie qu’il savait bien qu’un jour la maison d’Autriche voudrait rentrer dans cette belle province, mais qu’il se flattait qu’il garderait sa con-

  1. Voyez la note 2 de la page 153.
  2. Jean Dalrymple, comte de Stair, né en 1673, mort en 1747. Il fut, pendant plusieurs années, ambassadeur de George Ier auprès de Louis XIV et de Louis XV. En 1742, Stair commandait l’armée anglaise en Flandre, et il était, en outre, ambassadeur extraordinaire auprès des Etats-Généraux. (Cl.)