témoignage de mon zèle pour le roi et pour ma patrie. La confiance avec laquelle le roi de Prusse daigne me parler me mettrait peut-être quelquefois en état de rendre ce zèle moins inutile, et je croirais ne pouvoir jamais mieux répondre à ses bontés qu’en cultivant le goût naturel qu’il a pour la France. Je suis, etc.
Je vous en fais mon compliment, monsieur, et je le ferais encore avec plus de plaisir s’il s’adressait à vous directement. J’ai vu ces jours-ci le roi de Prusse, et je l’ai vu comme on ne voit guère les rois, fort à mon aise, dans ma chambre, au coin de mon feu, où ce même homme, qui a gagné deux batailles[1], venait causer familièrement, comme Scipion avec Térence. Vous me direz que je ne suis pas Térence mais il n’est pas non plus tout à fait Scipion.
J’ai appris des choses bien extraordinaires. Il y en a une qu’on débite sourdement, au moment que j’ai l’honneur de vous écrire : on dit le siège de Prague levé[2] mais Bruxelles est le pays des mauvaises nouvelles. M. de Neipperg est arrivé de Hollande ici ; mais il n’amène point de troupes hollandaises, comme on s’en flattait, et nous pourrions bien avoir incessamment une paix utile et glorieuse, malgré milord Stair et malgré M. Van Harenn[3] qui est le poëte Tyrtée des États-Généraux. L’un présente des mémoires, l’autre fait des odes ; et, avec tant de prose et tant de vers, leurs grosses et lentes puissances pourraient bien rester tranquilles. Dieu le veuille, et nous préserve d’une guerre dans laquelle il n’y a rien à gagner, mais beaucoup à perdre !
Les Anglais veulent nous attaquer chez nous, et nous ne pouvons leur en faire autant ; la partie, en ce sens, ne serait pas égale. Si nous les tuons tous, nous envoyons vingt mille hérétiques en enfer, et nous ne gagnons pas un château sur la terre ; s’ils nous tuent, ils mangent encore à nos dépens. Il vaut bien
- ↑ Celles de Mollwitz et de Czaslaw.
- ↑ Ce fut le 13 septembre seulement, selon l’Art de vérifier les dates, que le prince Charles de Lorraine s’éloigna de Prague, où se défendaient vaillamment le maréchal de Belle-Isle et Chevert. (Cl.)
- ↑ Guillaume Van Haren, né à Leewarde en 1713, mort en 1768, à qui Voltaire adressa, en 1743, trois stances qui sont dans le tome VIII.