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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/165

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témoignage de mon zèle pour le roi et pour ma patrie. La confiance avec laquelle le roi de Prusse daigne me parler me mettrait peut-être quelquefois en état de rendre ce zèle moins inutile, et je croirais ne pouvoir jamais mieux répondre à ses bontés qu’en cultivant le goût naturel qu’il a pour la France. Je suis, etc.


1533. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON,
à paris.
À Bruxelles, le 10 septembre.

Je vous en fais mon compliment, monsieur, et je le ferais encore avec plus de plaisir s’il s’adressait à vous directement. J’ai vu ces jours-ci le roi de Prusse, et je l’ai vu comme on ne voit guère les rois, fort à mon aise, dans ma chambre, au coin de mon feu, où ce même homme, qui a gagné deux batailles[1], venait causer familièrement, comme Scipion avec Térence. Vous me direz que je ne suis pas Térence mais il n’est pas non plus tout à fait Scipion.

J’ai appris des choses bien extraordinaires. Il y en a une qu’on débite sourdement, au moment que j’ai l’honneur de vous écrire : on dit le siège de Prague levé[2] mais Bruxelles est le pays des mauvaises nouvelles. M. de Neipperg est arrivé de Hollande ici ; mais il n’amène point de troupes hollandaises, comme on s’en flattait, et nous pourrions bien avoir incessamment une paix utile et glorieuse, malgré milord Stair et malgré M. Van Harenn[3] qui est le poëte Tyrtée des États-Généraux. L’un présente des mémoires, l’autre fait des odes ; et, avec tant de prose et tant de vers, leurs grosses et lentes puissances pourraient bien rester tranquilles. Dieu le veuille, et nous préserve d’une guerre dans laquelle il n’y a rien à gagner, mais beaucoup à perdre !

Les Anglais veulent nous attaquer chez nous, et nous ne pouvons leur en faire autant ; la partie, en ce sens, ne serait pas égale. Si nous les tuons tous, nous envoyons vingt mille hérétiques en enfer, et nous ne gagnons pas un château sur la terre ; s’ils nous tuent, ils mangent encore à nos dépens. Il vaut bien

  1. Celles de Mollwitz et de Czaslaw.
  2. Ce fut le 13 septembre seulement, selon l’Art de vérifier les dates, que le prince Charles de Lorraine s’éloigna de Prague, où se défendaient vaillamment le maréchal de Belle-Isle et Chevert. (Cl.)
  3. Guillaume Van Haren, né à Leewarde en 1713, mort en 1768, à qui Voltaire adressa, en 1743, trois stances qui sont dans le tome VIII.