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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/212

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Locke à la main, désespérée,
Et de douleur tout éplorée,
Je vois la triste Châtelet ;
« Hélas mon perfide me troque,
Dit-elle, et me plante là net,
Pour qui ? pour Marie Alacoque ! »

C’est ce que je présume par la lettre que vous avez écrite à l’evêque de Sens, et sur ce que toutes les lettres mandent de Paris. Vous pouvez juger de ma surprise et de l’étonnement d’un esprit philosophique, lorsqu’il voit le ministre de la vérité plier les genoux devant l’idole de la superstition.

Les Midas mitrés triomphent, dans ce siècle, des Voltaire et des grands hommes ! Mais c’est apparemment le siècle où les ignorants doivent, en tous genres, être préférés, en France, aux savants et aux habiles gens. Ô tempora ! ô mores[1] !


Quarante savants perroquets,
Tour à tour maîtres et valets
De l’usage et de la grammaire,
Placés au Parnasse français,
Vous en ont donc exclu, Voltaire ?
C’est sans doute par vanité.
Ce refus n’est pas ridicule ;
Une aussi brillante clarté
Eùt de leur faible crépuscule
Terni la frivole beauté.

Je crois que la France est le seul pays en Europe où les ânes[2] et les sots puissent à présent faire fortune. Je vous envoie l’avant-propos de mes Mémoires ; le reste n’est point ostensible.

Je ne vous écris point aussi souvent que je le voudrais ; ne vous en prenez point à moi, mais à tant et tant d’occupations qui me partagent.

Adieu, cher Voltaire ; ne m’oubliez point, malgré mon silence, et croyez que, sur le sujet de l’amitié, je ne pense pas moins à vous qu’autrefois.

Fédéric.

1579. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
(Paris), juin[3].

Grand roi, j’aime fort les héros,
Lorsque leur esprit s’abandonne
Aux doux passe-temps, aux bons mots
Car alors ils sont en repos,
Et ne font de tort à personne.

  1. Cicéron, première Catilinaire.
  2. Voltaire appelait Boyer âne de Mirepoix, à cause de sa signature : Boyer, anc. éuvêque de Mirepoix, dans laquelle il feignait de prendre anc. pour âne.
  3. Cette lettre est la réponse à la lettre précédente.