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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/333

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d’habit, et je ne puis me présenter devant personne. Cela dérange toutes mes affaires. Avez-vous pensé à M. Thieriot[1] ? Je vous prie, monsieur, de me le marquer. Je suis depuis six jours avec quatre sous dans ma poche. Vous m’avez promis quelques légers secours ; ne me les refusez pas aujourd’hui, monsieur. Des que je serai habillé, je serai en état de suivre mes affaires, et ma situation changera. On m’annonce beaucoup d’affaires au Palais, mais elles ne sont pas encore arrivées. Nous touchons aux vacances ; le temps n’est pas favorable. Souffrirez-vous, monsieur, que je meure de faim ? je n’ai mangé hier et avant-hier que du pain. C’était fête ; je n’ai pu décemment sortir en robe, et mon habit n’est pas mettable. Je n’ai osé aller chez personne, et je n’avais pas d’argent pour avoir quelque chose chez moi. L’état est affreux. De grâce, monsieur, donnez au porteur de cette lettre ce que vous pouvez pour mon soulagement présent ; il est sûr. Mandez-moi si M. Thieriot fait quelque chose. Laisserez-vous périr de misère un ancien serviteur, un homme qui, j’ose le dire, a quelques talents, et qui est actuellement à la vue du port ? Son vaisseau est un peu délabré ; mais il ne s’agit que de le secourir pour entrer dans le port.

Je suis avec la plus vive reconnaissance, monsieur, votre, etc.

Mannory.

1685. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Ce jeudi.

L’un et l’autre de mes anges, je vous prie de battre de vos ailes un très-aimable homme nommé l’abbé de Bernis. Il faut absolument que vous lui fassiez changer un endroit de son Discours[2]. Il le faut, il le faut ; vous allez en convenir, et lui aussi, ou tout est perdu.

Les plus cruels ennemis de l’Académie, et puis tous les talents de l’esprit de ces plus cruels ennemis. Ah ! les lâches, les ridicules ennemis, passe ! et du mérite, du mérite ! les grands talents ! Roi, de grands talents ! quatre ou cinq scènes de ballet ; des vers médiocres dans un genre très-médiocre voilà de plaisants talents ! Y a-t-il là de quoi racheter les horreurs de sa vie ? Puisqu’il daigne désigner Roi, est-ce ainsi qu’on le doit désigner, lui, le plus cruel ennemi de l’Académie[3] ? C’est ainsi qu’on eût

  1. Thieriot le marchand, sans doute ; voyez la lettre 1858.
  2. L’abbé de Bernis, connu alors par un recueil de petits vers dont quelques-uns étaient désobligeants pour Voltaire, qui les lui pardonna très-philosophiquement, fut reçu à l’Académie française, en décembre 1744, à la place de l’abbé Gédoin, mort le 10 auguste précédent. Il raya de son Discours de réception le nom du poëte Roi. (Cl.)
  3. On attribuait à Roi un Discours prononcé à la porte de l’Académie, critique d’abord publiée en 1743, et reproduite en 1746 ; voyez tome XXIII, page 205.