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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/484

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trop occupé depuis ce temps, il lui eût certainement fait réponse ; mais comme cela eût pu tarder, j’ai pris le parti de la faire moi-même, et, en ce cas, ce n’est qu’à vous, monsieur, que je puis l’adresser. Je savais bien que les fermiers généraux avaient chacun un secrétaire ; je n’en avais encore vu à aucun poëte, quoique j’aie eu l’honneur de vivre avec beaucoup d’entre eux. Il vous était réservé, monsieur, de mettre les choses sur le bon pied et d’assimiler la littérature à la finance ; vous étiez fait pour des choses beaucoup plus extraordinaires, et tout vous réussit. Votre secrétaire me fait entendre, et j’apprends, monsieur, que vous débitez dans le monde que je vous ai de grandes obligations, que c’est vous qui me faites subsister depuis deux ans ; vous l’avez dit à tous les magistrats. Si cela était, je n’en rougirais pas, j’en serais même très-flatté. Moins vous paraissez disposé à rendre service, plus je me regarderais comme un sujet recommandable d’avoir pu vous forcer à cet égard. Il est vrai, monsieur, qu’il y a plus de deux ans que j’étais dans la peine, et l’on ne me fait aucun chagrin de me rappeler ces faits. Peut-être ne l’avais-je pas mérité si je l’avais mérité, j’en ai été assez puni pour que l’on doive me le pardonner. Il est également vrai que dans ce temps j’eus la faiblesse de m’adresser à vous. Quelques anciennes liaisons, l’idée que je m’étais faite des dispositions où devait être un homme tel que vous, me firent illusion. Vous étiez à la campagne. Je vous écrivis. Vous me fites réponse, j’ai vos lettres ; elles me donnèrent beaucoup d’espérance ; il s’agissait, monsieur, de secours qui pussent me remettre dans mon état ; vous me promîtes tout pour votre retour. Vous arrivâtes enfin. Je vous vis, ma situation vous toucha. Elle était bien triste, vous conçûtes qu’il était facile de la changer. Je vous trouvai un jour de bonne humeur, vous m’annonçâtes de l’argent qui devait vous rentrer incessamment. Mon affaire était sûre, vous me donnâtes à compte 12 livres. Je n’osai les refuser de peur d’indisposer mon libérateur ; il ne faut pas être fier avec les grands, leurs plus petites faveurs conduisent nécessairement aux grandes. Vous me demandâtes quinze jours. Je revins huit jours après le temps fixé, il ne me fut plus possible d’arriver jusqu’à vous. Mon signalement était donné, mais vous me fîtes l’honneur de m’écrire ; j’ai aussi ces lettres ; vous ne me parlâtes alors que misère et banqueroute. Votre carrosse allait être mis bas ; ma garde-robe cependant vous parut digne de votre attention, vous m’envoyâtes une espèce de billet pour Thieriot, marchand de draps. J’ose dire que ce n’était pas une lettre de crédit, c’était la recommandation la plus impertinente que l’on pût donner à un honnête homme. Je l’ai gardée sans en faire aucun usage, elle n’était pas destinée à celui-là. Vous lui parliez d’un père que j’avais alors, et que vous assuriez être riche ; vous lui promettiez qu’il ne tarderait pas à mourir, et qu’alors je le pourrais payer, quelque pauvre que je fusse dans ce temps. C’est l’extrait de votre billet que M. Thieriot n’a jamais vu, mais que j’ai encore, et qui servira, quand vous le voudrez, à faire une partie de l’histoire de nos liaisons. Mon père est mort en effet six mois après, et il y

    signer par son secrétaire, et dans lequel Mannory était représenté comme son obligé.