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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/49

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On dit les Autrichiens battus[1] et je crois que c’est vrai. Vous voyez que la lyre d’Horace a son tour après la massue d’Alcide. Faire son devoir, être accessible aux plaisirs, ferrailler[2] avec les ennemis, être absent, et ne point oublier ses amis : tout cela sont des choses qui vont fort bien de pair, pourvu qu’on sache assigner des bornes à chacune d’elles. Doutez de toutes les autres ; mais ne soyez pas pyrrhonien sur l’estime que j’ai pour vous, et croyez que je vous aime. Adieu.

Fédéric.

1431. — À M. L’ABBÉ DE VALORI.
Bruxelles, le 2 mai.

Si quelque chose, monsieur, pouvait augmenter les regrets que vous me laissez, ce serait votre attention obligeante. Vous êtes né pour faire les charmes de la société. Vous ne vous contentez pas de plaire, vous cherchez toujours à obliger. À peine recevez-vous une relation intéressante que vous voulez bien nous en faire part. Vous vous donnez la peine de transcrire tout l’article qui regarde le pauvre Maupertuis. Je viens de le lire à Mme du Châtelet ; nous en sommes touchés aux larmes. Mon Dieu ! quelle fatale destinée ! Qu’allait-il faire dans cette galère[3] ? Je me souviens qu’il s’était fait faire un habit bleu ; il l’aura porté sans doute en Silésie, et ce maudit habit aura été la cause de sa mort. On l’aura pris pour un Prussien ; je reconnais bien les gens appartenant à un roi du Nord, de refuser place à Maupertuis dans le carrosse. Il y a là une complication d’accidents qui ressemble fort à ce que fait la destinée quand elle veut perdre quelqu’un ; mais il ne faut désespérer de rien peut-être est-il prisonnier, peut-être n’est-il que blessé ?

J’apprends dans le moment, monsieur, que Maupertuis est à Vienne, en bonne santé. Il fut dépouillé par les paysans dans cette maudite Forêt-Noire, où il était comme don Quichotte faisant pénitence. On le mit tout nu ; quelques housards, dont un parlait français, eurent pitié de lui, chose peu ordinaire aux housards. On lui donna une chemise sale, et on le mena au comte Neipperg. Tout cela se passa deux jours avant la bataille. Le comte lui prêta cinquante louis avec quoi il prit sur-le-champ le chemin de Vienne, comme prisonnier sur sa parole ; car on

  1. À Mollwitz, en Silésie, le 10 avril 1741.
  2. Il paraît qu’au lieu de ferrailler le roi s’enfuit au premier choc voyez les Mémoires de Voltaire.
  3. Fourberies de Scapin, acte II, scène ii.