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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/5

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dont vous daignâtes vous charger, ne méritait ni vos bontés ni mes soins celui-ci a l’air de se mieux porter, et a grande envie de vivre. Ce sera à vous, mademoiselle, qu’il devra sa fortune s’il réussit, il me manquera le bonheur de m’en réjouir avec vous ; et s’il ne réussit pas, il me manquera d’avoir pour consolation les charmes de votre société et de votre esprit. Soyez persuadée, mademoiselle, que jamais personne ne vous sera dévoué avec plus d’estime et de dévouement.


1396. — À M. HELVÉTIUS,
à paris.
À Bruxelles, ce 7 de janvier.

Mon cher rival, mon poëte, mon philosophe, je reviens de Berlin, après avoir essuyé tout ce que les chemins de Vestphalie, les inondations de la Meuse, de l’Elbe et du Rhin, et les vents contraires sur la mer, ont d’insupportable pour un homme qui revole dans le sein de l’amitié. J’ai montré au roi de Prusse votre épître[1] corrigée j’ai eu le plaisir de voir qu’il a admiré les mêmes choses que moi, et qu’il a fait les mêmes critiques. Il manque peu de chose à cet ouvrage pour être parfait. Je ne cesserai de vous dire que, si vous continuez à cultiver un art qui semble si aisé, et qui est si difficile, vous vous ferez un honneur bien rare parmi les Quarante, je dis les quarante de l’Académie comme ceux des fermes.

Les Institutions de physique et l’Anti-Machiavel sont deux monuments bien singuliers. Se serait-on attendu qu’un roi du Nord et une dame de la cour de France eussent honoré à ce point les belles-lettres ? Prault a dû vous remettre de ma part un Anti-Machiavel[2] vous avez eu la Philosophie leibnitzienne[3] de la main de son aimable et illustre auteur. Si Leibnitz vivait encore, il mourrait de joie de se voir ainsi expliqué, ou de honte de se voir surpasser en clarté, en méthode et en élégance. Je suis en peu de choses de l’avis de Leibnitz ; je l’ai même abandonné sur les forces vives mais, après avoir lu presque tout ce qu’on a fait en Allemagne sur la philosophie, je n’ai rien vu qui approche, à beaucoup près, du livre de Mme du Châtelet. C’est une chose très--

  1. L’Épître sur l’orgueil et la paresse de l’esprit.
  2. Il parait que Prault imprima aussi l’Anti-Machiavel, mais sans mettre son nom à l’édition dont il est question indirectement dans la lettre à Moussinot, du 7 octobre 1740.
  3. Le premier tome des Institutions de physique.