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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/94

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Je reviens à Mahomet ; l’abbé Moussinot aura l’honneur de vous l’envoyer cacheté. Je vous prie instamment de me le renvoyer de même, sans permettre qu’il en soit tiré copie.

Adieu, monsieur ; aimez toujours beaucoup les belles-lettres, et daignez aussi aimer un peu l’homme du monde qui vous est attaché avec le respect le plus tendre.


1465. — À M. DE MAUPERTUIS.
À Bruxelles, 10 août.

Je ne mettrai pas, mon cher aplatisseur de mondes et de Cassinis, de tels quatrains[1] au bas du portrait de Christianus Wolffius. Il y avait longtemps que j’avais vu, avec une stupeur de monade, quelle taille ce bavard germanique assigne aux habitants de Jupiter. Il en jugeait par la grandeur de nos yeux et par l’éloignement de la terre au soleil ; mais il n’a pas l’honneur d’être l’inventeur de cette sottise, car un Wolffius met en trente volumes les inventions des autres, et n’a pas le temps d’inventer. Cet homme-là ramène en Allemagne toutes les horreurs de la scolastique surchargée de raisons suffisantes, de monades, d’indiscernables, et de toutes les absurdités scientifiques que Leibnitz a mises au monde par vanité, et que les Allemands étudient parce qu’ils sont Allemands.

C’est une chose déplorable qu’une Française telle que Mme du Châtelet ait fait servir son esprit à broder ces toiles d’araignée. Vous en êtes coupable, vous, qui lui avez fourni cet enthousiaste de König, chez qui elle puisa ces hérésies qu’elle rend si séduisantes.

Si vous étiez assez généreux pour m’envoyer votre Cosmologie[2], je vous jurerais bien, par Newton et par vous, de n’en pas tirer de copie, et de vous la renvoyer après l’avoir lue. Il ne faut pas que vous mettiez la chandelle sous le boisseau…[3] ; et, en vérité, un homme qui a le malheur d’avoir lu la Cosmologie de Christian Wolff a besoin de la vôtre pour se dépiquer.

  1. Les vers pour le portrait de M. de Maupertuis étaient joints à cette lettre ; on les a vus dans celle à M. de Locmaria, du 17 juillet. (K.)
  2. L’Essai de Cosmologie fut imprimé, pour la première fois, en 1751, in-12, et réimprimé dans les Œuvres de Maupertuis, 1752, in-4o. Voyez ce que Voltaire en dit, tome XXIII, pages 535-540 ; cet Essai de Cosmologie fut l’occasion de la dispute de Maupertuis avec König, dispute qui fit naître l’Histoire du docteur Akakia ; voyez tome XXIII, page 559.
  3. Matthieu, v, 15 ; Marc, iv, 21 ; Luc, xi, 33