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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/198

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sont dignes de vous, et d’un sage qui cherche son pareil ; vous le trouverez sur le trône. Il est à même de répandre sa vertu sur un peuple innombrable, et toutes ses actions tendent à ce but élevé. Quel bonheur pour vous de pouvoir l’admirer, et de voir de plus près les rayons divins qui partent de son génie ! La Divinité a vengé la nature, en nous rendant un Marc-Aurèle.

Il est temps actuellement de plaider ma cause. Vous dites, monsieur, que je me suis expatrié, et vous ne voulez point entrevoir les raisons qui m’invitent à servir en France. J’imagine que j’y suis plus à même de rendre des services importants à ma patrie que dans son sein même. Voilà, monsieur, ce qui m’y a engagé. Trouvez-vous encore que je lui sois rebelle, et oserez-vous encore me désapprouver ? Le but de tout homme de bien doit être le bonheur de ses concitoyens. Je puis vous assurer que ce sont là mes vues, et que jamais je ne m’en écarterai. Vous me dites encore que le séjour de Paris est plus fait pour moi que pour vous. Les plaisirs brillants qu’on y rencontre ne me tentent nullement. J’en cherche de plus solides, et celui d’oser et de pouvoir me respecter est le seul que j’envie. Les fêtes agréables dont Paris est surchargé me paraissent insipides et maussades. J’y trouve un vide affreux, indigne de tout homme qui pense. J’envisage Paris d’un côté tout opposé ; c’est un théâtre immense. Les acteurs qui le montent ne sont pas tous égaux ; mais la représentation, la plupart du temps, en est fort comique. Le rôle que j’y veux remplir est difficile, mais il est convenable. Voilà mes plaisirs, monsieur ; le dîner que vous me proposez n’est point de refus : au contraire, il me flatte infiniment. J’ai une grâce à vous demander, et je suis persuadé d’avance que vous ne me l’accorderez pas ; j’en conçois l’impossibilité ; mais on me force à vous en parler. C’est la duchesse régnante[1], ma belle-sœur, qui est très-sensible à votre souvenir, qui désirerait lire votre Rome sauvée, et vous fait sommer de la lui envoyer. C’est vous embarrasser cruellement. Il ne fait pas bon vous ennuyer plus longtemps ; je finis donc en vous assurant de toute l’amitié et de tout l’attachement possibles, avec lesquels je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Louis, prince de Wurtemberg.

2137. — À M. DE MAUPERTUIS[2].
Potsdam.

Mon cher président, je m’intéresse bien davantage au Languedocien Raynal qu’au Provençal Jean[3]. Je me flattais de vous

  1. Elisabeth-Frédérique-Sophie, fille unique du margrave de Brandebourg-baireuth, et de Wilhelmine, sœur du roi de Prusse. Née le 1er septembre 1732, elle avait épousé, en 1748. Charles-Eugène, duc de Wurtemberg, qui régna de 1737 à 1793.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.
  3. D’Argens.