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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/202

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2140. — À M. DARGET.
À Potsdam, octobre 1750.

Mon cher ami, la permission du roi de France est arrivée. Me voici votre compatriote et sous les lois du philosophe de Sans-Souci, Les lettres de Versailles sont un peu à la glace. On m’ôte mes charges, à la bonne heure ; je sais confondre un petit mal dans un grand bien. J’attends votre retour avec la plus vive impatience pour écrire à M. Duverney[1]. Vale. Samedi.


2141. — À MADAME DENIS.
À Potsdam. le 28 octobre.

Je ne sais pas pourquoi le roi me prive de la place d’historiographe de France, et qu’il daigne me conserver le brevet de son gentilhomme ordinaire : c’est précisément parce que je suis en pays étranger que je suis plus propre à être historien ; j’aurais moins l’air de la flatterie ; la liberté dont je jouis donnerait plus de poids à la vérité. Ma chère enfant, pour écrire l’histoire de son pays il faut être hors de son pays.

Me voilà donc à présent à deux maîtres. Celui qui a dit qu’on ne peut servir deux maîtres à la fois[2] avait assurément bien raison ; aussi, pour ne point le contredire, je n’en sers aucun. Je vous jure que je m’enfuirais s’il me fallait remplir les fonctions de chambellan, comme dans les autres cours. Ma fonction est de ne rien faire. Je jouis de mon loisir. Je donne une heure par jour au roi de Prusse pour arrondir un peu ses ouvrages de prose et de vers ; je suis son grammairien, et point son chambellan. Le reste du jour est à moi, et la soirée finit par un souper agréable. Il arrivera qu’en dépit des titres dont je ne fais nul cas je n’exercerai point du tout la chambellanie, et que j’écrirai l’histoire.

J’ai apporté ici heureusement tous mes extraits sur Louis XIV. Je ferai venir de Leipsick les livres dont j’aurai besoin, et je finirai ici ce Siècle de Louis XIV, que peut-être je n’aurais jamais fini à Paris. Les pierres dont j’élevais ce monument, à l’honneur de ma patrie, auraient servi à m’écraser. Un mot hardi eût paru une licence effrénée ; on aurait interprété les choses les plus innocentes avec cette charité qui empoisonne tout. Voyez ce qui

  1. Voyez le troisième alinéa de la lettre 2134.
  2. Évangile de saint Matthieu. vi. 24. et de saint Luc. xvi. 13.