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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/280

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champ, conjointement avec la demoiselle Lafond, soient remis comme vous avez eu la bonté de me le promettre. La personne par qui vous avez fait faire la saisie, en vertu d’un ordre du roi, m’a dit qu’elle avait fait mettre sous le scellé deux manuscrits entiers de la tragédie de Rome sauvée, un tome in-4o de lettres manuscrites appartenantes à M. de Voltaire, et un exemplaire du Voltairiana. Je vous prie en grâce d’ordonner que ce scellé soit levé, et d’ordonner qu’on me remette entre les mains ces papiers.

Je vous en aurai une vraie obligation.

J’ai l’honneur d’être très-parfaitement, monsieur, votre très-humble et très-obéissante servante.


Mignot Denis.

2229. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Le 4 mai.

Mon cher ange, le roi de Prusse, tout roi et tout grand homme qu’il est, ne diminue point le regret que j’ai de vous avoir perdu. Chaque jour augmente ces regrets ; ils sont bien justes. J’ai quitté la plus belle âme du monde, et le chef de mon conseil, mon ami, ma consolation. On a quatre jours à vivre ; est-ce auprès des rois qu’il faut les passer ? J’ai fait un crime envers l’amitié. Jamais on n’a été plus coupable ; mais, mon cher ange, encore une fois, daignez entrer dans les raisons de votre esclave fugitif. Était-il bien doux d’être écrasé par ceux qui se disent dévots, d’être sans considération auprès de ceux qui se disent puissants, et d’avoir toujours des rivaux à craindre ? Ai-je fort à me louer de vos confrères du parlement ? ai-je de grandes obligations aux ministres ? Et qu’est-ce qu’un public bizarre qui approuve et qui condamne tout de travers ? et qu’est-ce qu’une cour qui préfère Bellecour à Lekain, Coypel[1] à Vanloo, Royer[2] à Rameau ? N’est-il pas bien permis de quitter tout cela pour un roi aimable, qui se bat comme César, qui pense comme Julien, et qui me donne vingt mille livres de rente et des honneurs pour souper avec lui ? À Paris, je dépendrais d’un lieutenant de police ; à Versailles, je serais dans l’antichambre de M. Mesnard. Malgré tout cela, mon cœur me ramènera toujours vers vous ; mais il faut que vous ayez la bonté de me préparer les voies. J’avoue que, si je suis pour vous une maîtresse tendre et sensible, je suis

  1. Voyez tome XXXIII, page 70.
  2. Royer a mis en musique Pandore ou Prométhée, opéra de Voltaire, après avoir fait retoucher le poëme par Sireuil ; voyez l’année 1754.