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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/283

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quand je retournerai en France, elle sera cause assurément que je prendrai ma route par la Lorraine, Vous y aurez bien votre part, mon cher et ancien ami. Je viendrai vous prier de me présenter à votre Académie.

Notre séjour à Potsdam est une académie perpétuelle. Je laisse le roi faire le Mars tout le matin, mais le soir il fait l’Apollon, et il ne paraît pas à souper qu’il ait exercé cinq ou six mille héros de six pieds ; ceci est Sparte et Athènes : c’est un camp et le jardin d’Épicure ; des trompettes et des violons, de la guerre et de la philosophie. J’ai tout mon temps à moi ; je suis à la cour, je suis libre ; et, si je n’étais pas entièrement libre, ni une énorme pension, ni une clef d’or qui déchire la poche, ni un licou qu’on appelle cordon d’un ordre, ni même les soupers avec un philosophe qui a gagné cinq batailles, ne pourraient me donner un grain de bonheur. Je vieillis, je n’ai guère de santé, et je préfère d’être à mon aise avec mes paperasses, mon Catilina, mon Siècle de Louis XIV, et mes pilules, aux soupers des rois, et à ce qu’on appelle honneur et fortune. Il s’agit d’être content, d’être tranquille ; le reste est chimère. Je regrette mes amis, je corrige mes ouvrages, et je prends médecine. Voilà ma vie, mon cher Panpan. S’il y a quelqu’un par hasard dans Lunéville qui se souvienne du solitaire de Potsdam, présentez mes respects à ce quelqu’un.

Il a été un temps où tout ce qui porte le nom de Beauvau me prenait sous sa protection ; ce temps est-il absolument passé ? Mme la marquise de Boufflers daigne-t-elle me conserver quelques bontés ? serait-elle bien aise de me revoir à sa cour ? serait-elle assez bonne de dire au roi de Pologne, qui ne s’en souciera peut-être guère, que je serai toute ma vie pénétré des bontés et des vertus de Sa Majesté ? C’est le meilleur des rois, car il fait tout le bien qu’il peut faire.

Adieu, mon très-cher Panpan. Aimez toujours les vers, et n’aimez que les bons ; et conservez quelque bonne volonté pour un homme qui a toujours été enchanté de votre caractère. Vale et me ama.


2233. — À M. LE BARON DE MARSCHALL[1].
À Potsdam, ce 14 ou 15… Ma foi, je n’en sais rien.

Je vous remercie tendrement, monsieur, des aumônes que vous avez faites à mon âme. J’ai l’honneur de vous renvoyer les

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.