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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/315

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lui, un peu de rhubarbe en poudre de deux jours l’un. Si jamais vous en voulez faire autant, voilà mon secret, essayez-en : il est bon pour les rois et pour leurs chambellans, il sera peut-être bon pour vous ; mais je crains furieusement l’hiver pour vous et pour moi. Il me semble que c’est là notre plus dangereuse saison : elle serait pour moi la plus agréable si je la passais avec vous, mais je doute fort que je puisse vous embrasser l’hiver à Paris. J’ai quelques petites occupations de mon métier, que je crains qui ne me mènent plus loin que je ne voulais ; et si l’hiver commence avant que ma besogne soit finie, il n’y aura pas moyen de partir. Je n’ai pas, dans la cour où je suis, les consolations que vous avez à Paris ; je deviens bien vieux, mon cœur, mais il y a des fleurs et des fruits en tout temps. Je n’ai jamais joui d’une vie plus heureuse et plus tranquille. Figurez-vous un château admirable, où le maître me laisse une liberté entière, de beaux jardins, bonne chère, un peu de travail, de la société, et des soupers délicieux, avec un roi philosophe qui oublie ses cinq victoires et sa grandeur. Vous m’avouerez que je suis excusable d’avoir quitté Paris : cependant je ne me pardonne pas encore d’être si loin de vous et de ma famille. Il s’en est peu fallu que je n’aie été sur le point de faire un voyage à Paris. J’aurais passé par Strasbourg et par Lunéville, et je serais venu prendre les eaux avec vous à Plombières. Je suis obligé de différer longtemps mon voyage ; mais, si Dieu me donne vie, je compte bien vous embrasser au plus tard au printemps prochain.


2265. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.

Sire, eh, mon Dieu ! comment faites-vous donc ? J’ai rapetassé cent cinquante vers, depuis huit jours, à Rome sauvée, et Votre Majesté en a peut-être fait quatre ou cinq cents. Je n’en peux plus, et vous êtes frais ; je me démène comme un possédé, et vous êtes tranquille comme un élu ; j’appelle le génie, et il vous vient. Vous travaillez comme vous gouvernez, comme on dit que les dieux font mouvoir le monde, sans effort. J’ai un petit secrétaire gros comme le pouce, qui est malade pour avoir transcrit deux actes de suite. Votre Majesté veut-elle permettre que le diligent, l’infatigable Vigne vous transcrive le reste ? Je demande en grâce à Votre Majesté de lire ma Rome. Votre gloire est intéressée à ne laisser sortir de Potsdam que des ouvrages qui soient dignes du Mars-Apollon qui consacre cette retraite à la postérité.