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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/325

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de grâces. Je vous ai cent fois plus d’obligation qu’au pape, car enfin il n’a point fait jouer Mahomet publiquement à Rome ; mais la pièce traduite a été représentée dans des assemblées particulières. Elle a été jouée publiquement à Bologne, qui est, comme vous savez, terre papale. Vous voyez que vous pouvez, en sûreté de conscience, donner mon Prophète à Paris. Je vous remercie encore de n’avoir point hasardé le Catilina : car, quoique celui de Crébillon ait réussi, on exige peut-être plus de moi que de mon confrère Crébillon, parce que je ne suis pas si vieux.

Si vous permettez que je raisonne ici littérature avec vous, j’aurai l’honneur de vous dire que ma pièce aurait été bien reçue, courue, mise aux nues du temps de la Fronde. Heureusement les conspirations sont passées de mode ; heureusement pour l’État s’entend, et très-malheureusement pour le théâtre. Il n’y a guère que des jeunes gens et de belles dames bien mises, très-françaises, et peu romaines, qui aillent à nos spectacles ; il faut leur parler de ce qu’elles font, et sans amour point de salut. Je ne peux pas réformer ma nation ; mais il faut dire pourtant à son honneur qu’il y a des ouvrages qui ont réussi sans être fondés sur une intrigue amoureuse. Je ne dis pas que ma Rome sauvée fût jouée aussi souvent que Zaïre, mais je crois que, si elle était bien représentée, les Français pourraient se piquer d’aimer Cicéron et César ; et je vous avoue que j’ai la faiblesse de penser qu’il y a dans cet ouvrage je ne sais quoi qui ressent l’ancienne Rome. Je l’ai travaillé de mon mieux. Je n’entrerai ici dans aucune discussion, quoique j’en aie bien envie. J’ai envoyé ma Rome par milord Maréchal, ancien conjuré d’Écosse, tout propre à se charger de ma conspiration de Catilina ; vous en jugerez : ainsi je laisse là tous les raisonnements que je voulais faire, et je m’en rapporte à vos lumières et à vos bontés.

J’aimerais bien mieux vous amuser, en vous envoyant quelques petits morceaux du Siècle de Louis XIV. C’est ce Siècle qui me prive à présent du bonheur de vous faire ma cour. J’ai commencé l’édition ; je ne peux l’abandonner. Je travaille comme un bénédictin. Une édition du Siècle, une autre de mes anciennes sottises, qu’on réimprime[1] et que je dirige, des Rome sauvée à la traverse, voyez si je peux quitter, et si j’ai un instant dont je puisse disposer. Vous me direz que je suis un franc pédant, et vous aurez raison ; mais il ne faut jamais abandonner ce qu’on a commencé, et peut-être ne serez-vous pas fâché de voir mon Siècle.

  1. Voyez le troisième alinéa de la lettre 2271.