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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/329

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jambes pour marcher, et des dents pour parler. Le roi de Prusse m’assure qu’il me trouvera fort bien sans dents ; mais voyez la belle conversation quand on ne peut plus articuler ? On meurt ainsi en détail, après avoir vu mourir presque tous ses amis, et ce songe pénible de la vie est bientôt fini.

Je doute fort que vous puissiez avoir le volume[1] qui a été envoyé au roi ; il me semble qu’il n’y en a plus. On en avait tiré un fort petit nombre d’exemplaires, qui ont été, je crois, tous distribués. Le président Hénault, qui semblait y avoir quelque droit, comme cité dans la préface, s’y est pris trop tard pour en avoir un exemplaire. Au reste, le roi de Prusse est à présent en Silésie, et ne revient que dans quinze jours.

Je vous ferai tenir, par la première occasion, les incohérentes hardiesses de ce La Mettrie. Cet homme est le contraire de don Quichotte, il est sage dans l’exercice de sa profession, et un peu fou dans tout le reste. Dieu l’a fait ainsi. Nous sommes comme la nature nous a pétris, automates pensants, faits pour aller un certain temps, et puis c’est tout. Je n’ai point vu encore mon cher Isaac d’Argens ; il est à la campagne auprès de Potsdam, et moi à Berlin avec mon Siècle. Dès que j’aurai fini, et fait parvenir cette besogne à Paris pour y être examinée, je viendrai assurément me mettre à vos pieds, moi et Rome. Soyez sûr que personne au monde ne sent plus vivement et tout ce que vous valez et toutes vos bontés. Je voudrais vivre pour avoir l’honneur de vivre auprès de vous. Vous êtes aussi respectable dans l’amitié que vous avez été charmant dans l’amour ; vous êtes l’homme de tous les temps, plein d’agréments, comblé de gloire. Je n’aime pas excessivement votre oncle le cardinal, mais j’ai pour vous tous les sentiments que je lui refuse. En vérité, vous devez sentir que si je ne suis pas parti à la réception de vos lettres, c’est que la chose est impossible. Laissez-moi finir mes travaux, mes éditions, sans quoi vous seriez aussi injuste qu’aimable. Recevez mes tendres respects et mon éternel dévouement.


2276. — À M. DARGET.
1751.

Mon cher ami, il est bon de connaître la bonne foi germanique. Il y a trois mois que, malgré ses protestations, Henning[2]

  1. Il doit s’agir du poëme du Palladion.
  2. Libraire de Berlin, dont le nom est sur la première édition du Siècle de Louis XIV.