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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/431

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monarque et de la nation qui en sont l’objet. Si on avait laissé à M. le maréchal de Noailles son exemplaire, que M. de Richelieu a repris, si on n’avait pas préféré le vain plaisir d’avoir un livre rare à celui de procurer les instructions nécessaires pour rendre ce livre meilleur, la meilleure édition serait déjà bien avancée. Il faudrait que tout bon Français contribuât à la perfection d’un tel ouvrage.

Vous me parlez, mon cher ange, de cette Histoire générale[1], on m’a volé la partie historique de tout le xvie siècle et du commencement du xviie avec l’histoire entière des arts. Je m’étais donné la peine de traduire des morceaux de Pétrarque et du Dante, et jusqu’à des poètes arabes que je n’entends point ; toutes mes peines ont été perdues. Le Siècle de Louis XIV devait se renouer à cette Histoire générale ; c’est une perte que je ne réparerai jamais. Il y a grande apparence que ce malheureux valet de chambre[2] qu’on séduisit pour avoir tous mes manuscrits, avait aussi volé celui que je regrette, et qu’il le brûla quand ma nièce eut la bonté d’exiger de lui le sacrifice de tout ce qu’il avait copié. En un mot, le manuscrit est perdu. Je voudrais qu’on eût perdu de même bien des choses dont on a grossi le recueil de mes œuvres ; mais c’est encore un mal sans remède.

Je me flatte que la pièce[3] que Mme Denis va donner ne sera point un mal, que ce sera au contraire un bien qu’elle mettra dans la famille pour réparer les prodigalités de son oncle. Je me souviens d’avoir vu dans cette pièce des scènes très-jolies ; je ne doute pas qu’elle n’ait conduit cet ouvrage à sa perfection. Je ne lui voudrais pas de ces succès passagers dont on doit une partie à l’indulgence de la nation. Je ne sais si je me trompe, mais il semble qu’il y avait dans cette comédie telle scène qui valait mieux que toute la pièce de Cénic[4]. Ces scènes ne suffisent pas, sans doute. Elle aura travaillé le tout avec soin ; elle a acquis tous les jours plus de connaissance du théâtre ; et ses amis, à la tête desquels vous êtes, ne lui laisseront pas hasarder une pièce dont le succès soit douteux. Il y a une certaine dignité attachée à l’état de femme, qu’il ne faut pas avilir. Une femme d’esprit,

  1. La première partie se composait de l’Essai sur les Révolutions du monde, ouvrage connu maintenant sous le titre d’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations.
  2. Longchamp, qui avait rempli aussi les fonctions de secrétaire ou copiste ; voyez ses Mémoires sur Voltaire, etc., 1826, deux vol. in-8°.
  3. La Coquette punie.
  4. Comédie de Mme de Graffigny, 1750.