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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/517

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avait pris pour des aigles[1] ne sont que des coqs d’Inde ; qu’un orgueil despotique, avec un peu de science et beaucoup de ridicule, est bientôt reconnu et détesté de l’Europe savante, etc. Je suis très-aise que vous me marquiez de l’amitié ; et, si vous êtes plus philosophe que prêtre, je serai votre ami toute ma vie. Je suis d’un caractère que rien ne peut faire plier, inébranlable dans l’amitié et dans mes sentiments, et ne craignant rien ni dans ce monde-ci ni dans l’autre. Si vous voulez de moi à ces conditions, je suis à vous hardiment, et peut-être plus efficacement que vous ne pensez.


2454. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[2].
À Potsdam, 27 octobre (1752.)

Madame, frère Voltaire, mort au monde, amoureux de sa cellule et de son couvent dont il n’est sorti depuis huit mois, rompt enfin son silence pour Votre Altesse royale. Son détachement des choses humaines lui laisse encore quelque faiblesse, et cette faiblesse, madame, est toute pour vous. Il croit même que ce n’en est point une, et que Dieu lui pardonnera de conserver un attachement si raisonnable pour une de ses plus parfaites créatures. Je prends la liberté de lui envoyer un petit ouvrage de dévotion que j’ai fait pour mon très-révérendissime père en Dieu, le philosophe de Sans-Souci[3] ? Je supplie instamment Votre Révérence royale de ne pas permettre qu’on en fasse de copie ; il ne faut pas que les mystères des saints soient exposés à des yeux profanes. Ce pieux manuscrit est en bien petits caractères, mais elle pourra se le faire lire par M. le marquis d’Adhémar ou par M. le marquis de Montperny, diacres de son église. Je suis bien fâché d’être réduit à présumer seulement que M. d’Adhémar soit auprès de Son Altesse royale ; je n’ai eu aucune nouvelle de lui depuis six mois. S’il est auprès de vous, madame, je ne suis pas surpris qu’il oublie le genre humain. J’espère toujours faire un petit voyage en Italie, et voir la ville souterraine avant de mourir ; mais, avant d’aller voir ce qui est sous terre, je compte bien venir faire ma cour à ce qu’il y a sur la terre de plus adorable,

  1. Voltaire, le premier, avait, pendant longtemps, pris Maupertuis pour un aigle. (Cl.)
  2. Revue française, 1er février 1866 ; tome XIII, page 223.
  3. Le poëme sur la Loi naturelle.