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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/522

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« Il est vrai que je vous ai fait conseiller de partir, me doutant bien que vous vous feriez bientôt renvoyer. » Je priai milord Tyrconnell de ne pas montrer cette lettre, qui ferait trop de tort à un jeune homme qui avait besoin de protection ; et il n’y a rien que je n’aie fait pour lui dans cette occasion. De retour de Spandau à Berlin, il médit qu’il était appelé à Copenhague avec une grosse pension ; mais il partit quelques jours après pour Leipsick. On prétend qu’il y fit imprimer une brochure intitulée, je crois, les Amours de Berlin, et les Dégoûts des plaisirs ; les lettres initiales de son nom, par M. de La B…., sont à la tête de ce libelle. Je suis très-éloigné de l’en croire l’auteur, et j’ai soutenu publiquement que ce n’était pas lui. De Leipsick il s’arrêta à Gotha. On a écrit de ce pays-là des choses sur son compte qui lui feraient plus de tort, si elles étaient vraies, que le libelle même qu’on lui a imputé. On m’a écrit de Leipsick, de Copenhague, de Gotha, des particularités qui ne lui feraient pas moins de préjudice, si je les rendais publiques.

Comment peut-il donc, monsieur, dans de pareilles circonstances, non-seulement contrefaire l’édition de mon libraire, mais charger cette édition de notes contre moi, qui ne l’ai jamais offensé, qui même lui ai rendu service ? S’il est plus instruit que moi du règne de Louis XIV, ne devait-il pas me communiquer ses lumières, comme je lui communiquai, sur son livre intitulé Mes Pensées, des observations dont il a fait usage ? Pourquoi d’ailleurs faire réimprimer la première édition du Siècle de Louis XIV, quand il sait que mon libraire Walther en donne une nouvelle, beaucoup plus exacte et d’un tiers plus ample ? Quoique j’aie passé trente années à m’instruire des faits principaux qui regardent ce règne ; quoiqu’on m’ait envoyé en dernier lieu les mémoires les plus instructifs, cependant je peux avoir fait, comme dit Bayle, bien des péchés de commission et d’omission[1]. Tout homme de lettres qui s’intéresse à la vérité et à l’honneur de ce beau siècle doit m’honorer de ses lumières ; mais quand on écrira contre moi, en faisant imprimer mon propre ouvrage pour ruiner mon libraire, un tel procédé aura-t-il des approbateurs ? une ancienne édition contrefaite aura-t-elle du crédit parmi les honnêtes gens ? et l’auteur ne se ferme-t-il pas, par ce procédé, toutes les portes qui peuvent le mener à son avancement ?

J’ose vous prier, monsieur, de lui montrer cette lettre, et de rappeler dans son cœur les sentiments de probité que doit avoir

  1. Préface de la première édition de son Dictionnaire, alinéa 13.