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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/576

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Il devrait bien plutôt m’envoyer une permission de partir pour aller me guérir ou mourir ailleurs. Il n’a plus nul besoin de moi. Il sait à présent mieux que moi la langue française ; il écrit français par un a ; il fait de bonne prose et de bons vers. Il a écrit, sans me consulter, une philippique sur la querelle de Maupertuis ; il l’a pris pour Auguste, et moi pour Marc-Antoine. Maupertuis l’a fait imprimer en allemand et en italien, avec les aigles prussiennes à la tête. Battu à Actium et à la tribune aux harangues, il ne me reste qu’à aller mourir dans cette terre[1] que vous me proposez, et de vous embrasser avant ma mort. Voici une espèce de testament[2] littéraire que je vous envoie. Mille tendres respects à tous les anges.

Je vous prie de donner copie de mon testament.


2520. — À M. LE MARQUIS D’ARGENS,
à postdam.
Berlin, le 16 février.

Je me meurs, mon cher marquis, et j’ai la force de vous avouer ma faiblesse. Je ne vous nierai pas certainement que ma douleur est inexprimable. J’ai voulu me vaincre et venir à Potsdam ; mais je suis retombé, la veille de mon départ, dans un état dont il n’y a pas d’apparence que je relève. Mon érysipèle est rentré, la dyssenterie est survenue, j’ai souvent la fièvre ; il y a quatorze jours que je suis dans mon lit. Je suis seul, sans aucune consolation, à quatre cents lieues d’une famille en larmes à qui je sers de père. Voilà mon état. Je compte sur votre amitié, qui fait presque ma seule consolation, et je vous embrasse tendrement.


2521. — À M. LE MARQUIS D’ARGENS.

Cher frère, vous êtes assurément le premier capitaine d’infanterie qui ait ainsi parlé de philosophie. Votre extrait de Gassendi est digne de Bayle. Je ne savais pas que Gassendi eût été le précurseur de Locke, dans le doute modeste et éclairé si la matière peut penser. Il y a dans de vieux magasins, où per-

  1. Le château de M. de Sainte-Palaye.
  2. Probablement le morceau qui fut imprimé sous le titre de Mémoire de M. F. de Voltaire, et que nous avons donné en note, tome XV, page 95.