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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/73

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2013. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
10 septembre.

Ah ! mon cher ami, je n’ai plus que vous sur la terre. Quel coup épouvantable ! Je vous avais mandé le plus heureux et le plus singulier accouchement ; une mort affreuse l’a suivi ! Et pour comble de douleur, il faut encore rester un jour dans cet abominable Lunéville qui a causé sa mort. Je vais à Cirey avec M. du Châtelet ; de là, je reviens pleurer entre vos bras, le reste de ma malheureuse vie. Conservez-nous Mme d’Argental. Écrivez-moi par Vassy à Cirey. Ayez pitié de moi, mon cher et respectable ami. Écrivez-moi à Cirey : voilà la seule consolation dont je sois capable.


2014. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
Le 10 septembre.

Je viens de voir mourir, madame, une amie de vingt ans, qui vous aimait véritablement, et qui me parlait, deux jours avant cette mort funeste, du plaisir qu’elle aurait de vous voir à Paris à son premier voyage. J’avais prié M. le président Hénault de vous instruire d’un accouchement qui avait paru si singulier et si heureux ; il y avait un grand article pour vous dans ma lettre ; Mme du Châtelet m’avait recommandé de vous écrire, et j’avais cru remplir mon devoir en écrivant à M. le président Hénault. Cette malheureuse petite fille dont elle était accouchée, et qui a causé sa mort, ne m’intéressait pas assez. Hélas ! madame, nous avions tourné cet événement en plaisanterie ; et c’est sur ce malheureux ton que j’avais écrit par son ordre à ses amis. Si quelque chose pouvait augmenter l’état horrible où je suis, ce serait d’avoir pris avec gaieté une aventure dont la suite empoisonne le reste de ma vie misérable. Je ne vous ai point écrit pour ses couches, et je vous annonce sa mort. C’est à la sensibilité de votre cœur que j’ai recours dans le désespoir où je suis. On m’entraîne à Cirey, avec M. du Châtelet. De là je reviens à Paris, sans savoir ce que je deviendrai, et espérant bientôt la rejoindre. Souffrez qu’en arrivant j’aie la douloureuse consolation de vous parler d’elle, et de pleurer à vos pieds une femme qui, avec ses faiblesses, avait une âme respectable.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.