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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/92

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tableau vrai, une image des temps et des hommes que vous connaissez et que vous aimez. Votre Majesté s’intéressera aux caractères de Cicéron et de César. Elle regardera avec curiosité ce tableau que je lui en présenterai ; elle sera empressée de voir s’il y a un peu de ressemblance. Mais il n’en sera pas ainsi avec Sémiramis et Ninias. Je m’imagine que ce sujet intéressera bien moins un esprit aussi philosophe que le vôtre. Il arrivera tout le contraire à Paris. Le parterre et les loges ne sont point du tout philosophes, pas même gens de lettres. Ils sont gens à sentiment, et puis c’est tout. Vous aimerez la Mort de César ; nos Parisiennes aiment Zaïre. Une tragédie où l’on pleure est jouée cent fois ; une tragédie où l’on dit : Vraiment voilà qui est beau ; Rome est bien peinte ; une telle tragédie, dis-je, est jouée quatre ou cinq fois. J’aurai donc fait une partie de mes ouvrages pour Frédéric le Grand, et l’autre partie pour ma nation. Si j’avais eu le bonheur de vivre auprès de Votre Majesté, je n’aurais travaillé que pour elle. Si j’étais plus jeune, je ferais une requête à la Providence ; je lui dirais : « Fortune ! fais-moi passer six mois à Sans-Souci et six mois à Paris. » V.


2036. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Potsdam, 25 novembre.

D’Olivet me foudroie, à ce que je vois. Je suis plus ignorant que je ne me l’étais cru. Je me garderai bien de faire le puriste, et de parler de ce que je n’entends pas ; mon silence me préservera des foudres des d’Olivet et des Vaugelas. Je me garderai bien encore de vous envoyer de mes ouvrages ; si vous laissez voler les vôtres, que serait-ce des miens ? Vous travaillez pour votre réputation et pour l’honneur de votre nation ; si je barbouille du papier, c’est pour mon amusement ; et on pourrait me le pardonner, pourvu que je déchirasse ces ouvrages après les avoir achevés. Lorsqu’on approche de quarante ans, et que l’on fait de mauvais vers, il faut dire comme le Misanthrope :


· · · · · · · · · · · · · · · Si j’en faisais d’aussi méchants.
Je me garderais bien de les montrer aux gens.

(Acte I, scène ii.)

Nous avions à Berlin un ambassadeur russe qui, depuis vingt ans, étudiait la philosophie sans y avoir compris grand’chose. Le comte de Keyserlingk dont je parle, et qui a soixante ans bien comptés, partit de Berlin avec son gros professeur. Il est à Dresde à présent ; il étudie toujours, et il espère d’être un écolier passable dans vingt ou trente ans d’ici. Je n’ai point sa patience, et je ne songe pas à vivre aussi longtemps. Quiconque n’est