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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/109

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De grimper sur le Parnasse,
Parmi la maudite race
Des beaux esprits, qui tracasse
Et remplit ce lieu d’horreur,
Je vous demande pour grâce,
S’il arrive quelque jour
Que mon nom par vous s’enchâsse
Dans vos vers ou vos discours,
Que sans ruses ni détours
La bonne plume l’y place.


Je souhaite paix et salut, non pas au gentilhomme ordinaire, non pas à l’historiographe du Bien-Aimé, non pas au seigneur de vingt seigneuries de la Suisserie, mais à l’auteur de la Henriade, de la Pucelle, de Brutus, de Mérope, etc.


Fédéric.

3850. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
19 mai.

C’est aujourd’hui, mon cher ange, le 19 de mai, et c’est le 22 d’avril qu’un vieux fou commença une tragédie[1] finie hier. Vous sentez bien, mon divin ange, qu’elle est finie et qu’elle n’est pas faite, et que nos maçons, mes bœufs, mes moutons, et les loups nommés fermiers généraux, contre lesquels je combats, et deux ou trois procès qui m’amusent, et des correspondances nécessaires, ne me permettront pas de vous envoyer mon griffonnage, l’ordinaire prochain. Mon cher ange, je vous avais bien dit que la liberté[2] et l’honneur rendus à la scène française échauffaient ma vieille cervelle. Ce que vous verrez ne ressemble à rien, et peut-être ne vaut rien. Mme Denis et moi, nous avons pleuré ; mais nous sommes trop proches parents de la pièce, et il ne faut pas croire à nos larmes. Il faut faire pleurer mes anges, et leur faire battre des ailes. Vous aurez sur le théâtre des drapeaux portés en triomphe, des armes suspendues à des colonnes, des processions de guerriers, une pauvre fille excessivement tendre et résolue, et encore plus malheureuse, le plus grand des hommes et le plus infortuné, un père au désespoir. Le cinquième acte commence par un Te Deum, et finit par un De Profundis.

Il n’y a eu jamais sur aucun théâtre aucun personnage dans le goût de ceux que j’introduis, et cependant ils existent dans l’histoire, et leurs mœurs sont peintes avec vérité. Voilà mon énigme ; n’en devinez pas le mot, et, si vous le devinez, gardez--

  1. Tancrède.
  2. Voyez ci-dessus, page 91.