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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/132

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Parme. Il s’était chargé d’une négociation avec M. le comte de La Marche, mon seigneur suzerain ; rien n’était plus convenable à un ministre. Je l’ai pressé de ne me point instruire de mes affaires ; mais je ne puis concevoir qu’il ne me parle pas d’une tragédie. Il faut qu’il ait quelque chose sur le cœur ; je vous prie de m’en éclaircir. Il m’aurait autrefois écrit des volumes sur une pièce de théâtre ; je ne conçois rien à son silence… Aimez toujours un peu le vieux Suisse.

Mon Parmesan m’écrit enfin, et m’envoie des volumes d’observations. Vraiment oui, il est bien question de cela ! Pense-t-il que depuis trois semaines je n’aie pas changé la pièce ? Gardons ce secret d’État, et amusons-nous.


3872. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 15 juin.

Mon divin ange parmesan, je reçois enfin un mot de votre écriture céleste, et un volume de critiques de Scaliger, de la main de madame l’Envoyée de Parme[1]. Sa négociation ne sera pas difficile. Vous ne songez pas qu’il s’est passé trois semaines entre l’envoi de la chevalerie[2] et votre réponse ; et que, pendant trois semaines, il faut bien qu’une tragédie ait le temps de changer de visage : aussi en a-t-elle changé tous les jours. Je viens d’entrevoir quelques critiques auxquelles j’ai répondu, il y a plus de quinze jours, par des vers bons ou mauvais.

Quelque respect que j’aie pour ce barbare de grand homme Pierre Ier, je l’abandonne à tout moment pour mes chevaliers. Les terres me désolent, M. d’Espagnac[3] m’opprime, les fermiers généraux me tourmentent ; j’ai peu de foin ; et cependant il faut faire des tragédies et des histoires avec une santé déplorable. Mlle Fel a beau adoucir mes maux par son joli gosier, la tête va me tourner.

Mon cher ange, quelle différence de M. le duc de Choiseul à monsieur l’abbé[4] ! Cependant vous n’aviez point hébergé,


Alimenté, rasé, désaltéré, porté[5]

  1. Voilà pourquoi Voltaire donne à Mme d’Argental le nom de Mme Scaliger, dans de nombreuses lettres.
  2. Tancrède.
  3. De Sahuguet d’Espagnac, conseiller de grand’chambre depuis janvier 1737, et chef du conseil du comte de La Marche.
  4. L’abbé de Bernis. Il venait d’être créé cardinal (2 octobre 1758), lorsqu’il fut remplacé au département des affaires étrangères par le duc de Choiseul.
  5. Vers du Joueur, de Regnard, acte III, scène iv.