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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/215

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qu’il n’y a que vous en qui une qualité ne soit pas aux dépens d’une autre ; mais je ne veux pas vous louer vif.

Certainement je ne lirai point Rabelais ; pour l’Arioste, je l’aime beaucoup ; je l’ai toujours préféré au Tasse ; celui-ci me parait une beauté plus languissante que touchante, plus gourmée que majestueuse, et puis je hais les diables à la mort. Je ne saurais vous dire le plaisir que j’ai eu de trouver dans Candide tout le mal que vous dites de Milton ; j’ai cru avoir pensé tout cela, car je l’ai toujours eu en horreur. Enfin, quand je lis vos jugements, sur quelque chose que ce puisse être, j’augmente de bonne opinion de moi-même, parce que les miens y sont absolument conformes. Je ne vous parle plus des romans anglais, sûrement ils vous paraîtraient trop longs ; il faut peut-être n’avoir rien à faire pour se plaire à cette lecture, mais je trouve que ce sont des traités de morale en action, qui sont très-intéressants et peuvent être fort utiles : c’est Paméla, Clarisse et Grandisson ; l’auteur est Richardson, il me paraît avoir bien de l’esprit.

Savez-vous, monsieur, ce qui me prouve le plus la supériorité du vôtre et ce qui fait que je vous trouve un grand philosophe ? C’est que vous êtes devenu riche. Tous ceux qui disent qu’on peut être heureux et libre dans la pauvreté sont des menteurs, des fous et des sots.

Ne protégez point, je vous prie, nos projets de finances ; non-seulement ils nous mèneront à l’hôpital, mais ils diminuent les revenus du roi. Depuis l’augmentation du tabac et des ports de lettres, on s’en aperçoit sensiblement, tout le monde se retranche. Il vient de paraître de nouveaux arrêts, qui ordonnent de porter au Trésor royal tous les fonds destinés à rembourser les billets de loterie des fermiers généraux, etc., etc. Enfin on n’a rien oublié de tout ce qui peut absolument détruire le crédit, aussi ne trouverait-on pas aujourd’hui à emprunter un écu ; nous-verrons ce que fera le parlement à sa rentrée.

Le Canada est pris ; M. de Moncalm est tué, enfin la France est Mme Job. Avez-vous des nouvelles de votre roi de Prusse ? Je serais bien curieuse de voir les lettres que vous en recevez ; je vous promets la plus grande fidélité. Adieu, monsieur.


3958. — À M. LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.
Au château de Touruay, Ier novembre.

Monsieur, une indisposition me prive de l’honneur de vous écrire de ma main. Mes marchés avec vous ne sont pas si bons que je m’en flattais, puisque ce n’est pas vous qui daignerez traduire la tragédie que vous m’avez demandée ; vous l’auriez sûrement embellie. Nous l’avons jouée trois fois sur mon petit théâtre de Tournay ; nous avons fait pleurer tous les Allobroges et tous les Suisses du pays ; mais nous savons bien que ce n’est pas une raison pour plaire à des Italiens. Ce qui pourrait me donner quelque espérance, c’est que nous avons tiré des larmes des plus