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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/28

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3755. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Breslau, 23 janvier.

J’ai reçu les vers[1] que vous avez faits ; apparemment que je ne me suis pas bien expliqué. Je désire quelque chose de plus éclatant et de public. Il faut que toute l’Europe pleure avec moi une vertu trop peu connue. Il ne faut point que mon nom partage cet éloge ; il faut que tout le monde sache qu’elle est digne de l’immortalité, et c’est à vous de l’y placer.

On dit qu’Apelle était le seul digne de peindre Alexandre ; je crois votre plume la seule digne de rendre ce service à celle qui sera le sujet éternel de mes larmes.

Je vous envoie des vers faits dans un camp, et que je lui envoyai un mois avant cette cruelle catastrophe qui nous en prive pour jamais. Ces vers ne sont certainement pas dignes d’elle, mais c’était du moins l’expression vraie de mes sentiments. En un mot, je ne mourrai content que lorsque vous vous serez surpassé dans ce triste devoir que j’exige de vous.

Faites des vœux pour la paix ; mais, quand même la victoire la ramènerait, cette paix et la victoire, ni tout ce qu’il y a dans l’univers, n’adouciront la douleur cruelle qui me consume.

Vivez plus heureux à Lausanne, et rendez-vous digne que j’oublie tout à fait le passé[2].


Fédéric.

3756. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[3].
Au château de Tournay, route de Genève, 25 janvier.

Madame, je reçois à point nommé la lettre très-aimable, très-ingénieuse, très-édifiante dont Votre Altesse sérénissime m’honore, du 16 janvier. Il est bien clair que tous n’avez rien de mieux à faire que de vous résigner. Le roi de Prusse et ses ennemis n’en usent pas d’une manière si philosophe et si chrétienne. Voici en tout cas un des plus beaux et des plus doux hivers possibles ; je crains bien qu’on n’en abuse pour désoler quelque pauvre province. Le système de Leibnitz peut être consolant ; mais celui des princes chrétiens, révérence parler, ne l’est guère. Il fait un aussi beau temps dans l’enceinte de nos Alpes que dans vos plaines de Thuringe, et nous ne craignons ni pandours, ni housards, ni troupes réglées ni déréglées. Voici un vrai temps pour venir vous

  1. Ceux qui sont au commencement de la lettre 3708.
  2. Les derniers mots de cette lettre : « et rendez-vous digne, etc., » se trouvent dans l’édition de Bâle, et ont été omis par les éditeurs de Kehl et par Beuchot.
  3. Éditeurs, Bavoux et François.