Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et d’armées. J’ai fait vœu de n’aller habiter le château de Ferney que quand je pourrai y faire la dédicace par un feu de joie. C’est, par parenthèse, un fort joli château. Colonnades, pilastres, péristyle, tout le fin de l’architecture s’y trouve ; mais je fais encore plus de cas des blés et des prairies. Nous sommes de l’âge d’or dans notre petit coin du monde, où toutes les Délices vous embrassent.


4103. — À M. PILAVOINE,
à pondichéry.
Au château de Ferney, 23 avril.

Mon cher et ancien camarade, vous ne sauriez croire le plaisir que m’a fait votre lettre. Il est doux de se voir aimé à quatre mille lieues de chez soi. Je saisis ardemment l’offre que vous me faites de cette histoire manuscrite de l’Inde. J’ai une vraie passion de connaître à fond le pays où Pythagore est venu s’instruire. Je crois que les choses ont bien changé depuis lui, et que l’université de Jaganate[1] ne vaut point celles d’Oxford et de Cambridge. Les hommes sont nés partout à peu près les mêmes, du moins dans ce que nous connaissons de l’ancien monde. C’est le gouvernement qui change les mœurs, qui élève ou abaisse les nations.

Il y a aujourd’hui des récollets dans ce même Capitole où triompha Scipion, où Cicéron harangua.

Les Égyptiens, qui instruisirent autrefois les nations, sont aujourd’hui de vils esclaves des Turcs. Les Anglais, qui n’étaient, du temps de César, que des barbares allant tout nus, sont devenus les premiers philosophes de la terre, et, malheureusement pour nous, sont les maîtres du commerce et des mers. J’ai bien peur que dans quelque temps ils ne viennent vous faire une visite ; mais M. Dupleix les a renvoyés, et j’espère que vous les renverrez de même. Je m’intéresse à la Compagnie, non-seulement à cause de vous, mais parce que je suis Français, et encore parce que j’ai une partie de mon bien sur elle. Voilà trois bonnes raisons qui m’affligent pour la perte de Masulipatan.

J’ai connu beaucoup MM. de Lally[2] et de Soupire[3] celui-ci

  1. Voyez tome XXIV, page 148.
  2. Thomas-Arthur, comte de Lally, né à Romans en 1702, décapité le 9 mai 1766 ; voyez tome XV, pages 359 et suiv.
  3. Maréchal de camp depuis le mois de novembre 1756 ; cité dans les Fragments historiques sur l’Inde. tome XXIX, page 139.