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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/403

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4129. — À M. BERTRAND.
20 mai.

Mon cher philosophe, si la misère de ma machine et de mes affaires me permet le voyage, j’irai à Manheim, et je porterai votre catalogue. Il vaut mieux parler qu’écrire ; mais ce ne sera que vers le mois de juillet, sinon j’écrirai[1].

Je ne sais pourquoi je me suis amusé à prendre le parti[2] du Koran ou de l’Alcoran contre un sot : car je suis un pauvre Osmanli, et je ne fais nul cas du Koran. Pour l’Écossaise[3], elle n’est pas de moi, ni bien des sottises nouvelles qu’on m’attribue. On a joué Jean-Jacques Rousseau à Paris, et on l’a fait marcher à quatre pattes. Il me semble pourtant qu’après toutes nos humiliations nous ne devrions nous moquer de personne.

Je vous embrasse tendrement. Ne m’oubliez jamais auprès de M. et de Mme de Freudenreich. Vale.


4130. — DE PIRON À BACULARD D’ARNAUD[4].
20 mai 1760.

Je vous rends grâces, monsieur, de votre attention, et de m’avoir fait lire l’Écossaise, que je vous renvoie. Il s’en faut bien que j’en pense tout le bien qu’on m’en avait dit. Le suffrage universel part sans doute du même principe que le grand cours dont est honorée la pièce du jour. Des chiens se houspillent dans la rue : tous les badauds mettent la tête aux fenêtres, les animent, les harcèlent, et, quand le combat est fini, se retirent et n’y songent plus, pendant que les combattants s’en vont léchant leurs plaies.

Fréron a ici les oreilles horriblement déchirées : de quoi cela guérit-il ? Il n’en va déchirer qu’à plus belles dents. Les sots recommenceront de s’en amuser, sans que, dans tout cela, les honnêtes gens trouvent le mot pour rire. Du vinaigre et de la moutarde partout, du sel nulle part. Pourquoi, par exemple, avoir fait de ce pauvre diable de Fréron un pendard formidable : il n’y a là que du faux et de l’outré, et rien de plaisant. Fréron ne cherche à ôter la vie à personne ; il cherche la sienne, et c’est tout, mais cela n’a jamais fait tort à qui que ce soit, ni n’en saurait faire ; ce n’est nullement un pendard, encore moins un pendard formidable. Qu’il laboure et soit bien payé, qu’il rie et fasse quelquefois rire ; qu’il ait du pain, et moi

  1. Voltaire n’ayant pu aller voir l’électeur, lui écrivit au sujet du cabinet d’histoire naturelle du pasteur Bertrand.
  2. Voyez la lettre 4073.
  3. Voyez tome V, page 397.
  4. L’Amateur d’autographes, année 1868, page 48.