Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/505

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À propos, madame, digérez-vous ? Je me suis aperçu, après bien des réflexions sur le meilleur des mondes possibles, et sur le petit nombre des élus, qu’on n’est véritablement malheureux que quand on ne digère point. Si vous digérez, vous êtes sauvée dans ce monde ; vous vivrez longtemps et doucement, pourvu surtout que les boulets de canon du prince Ferdinand et des flottes anglaises n’emportent pas le poignet de votre payeur des rentes.

Je n’ai nul rogaton à vous envoyer, et je n’ai plus d’ailleurs d’adresses contre-signantes, tant on se plaît à réformer les abus ! Je suis, de plus, occupé du czar Pierre, matelot, charpentier, législateur, surnommé le Grand. Ayant renoncé à Paris, je me suis enfui aux frontières de la Chine ; mon esprit a plus voyagé que le corps de La Condamine. On dit que ce sourdaud veut être de l’Académie française ; c’est apparemment pour ne pas nous entendre.

Heureux ceux qui vous entendent, madame ! Je sens vivement la perte de ce bonheur ; je vous aime, malgré votre goût pour les feuilles de Fréron. On dit que l’Écossaise, en automne, amène la chute des feuilles.

Mille tendres et sincères respects.


4216. — À M. LE MARQUIS D’ARGENGE DE DIRAC[1].
Aux Délices, 6 auguste[2].

Je crois, monsieur, avoir plus besoin de M. Tronchin que le jeune homme dont vous me parlez. Ma santé s’affaiblit tous les jours, et c’est ce qui m’a privé de l’honneur de vous répondre plus tôt. Si vous venez dans nos quartiers, le triste état où je suis ne m’empêchera pas de sentir le bonheur de vous posséder. J’ai peur que vous ne soyez bien mal logé dans la petite maison que j’occupe à un demi-quart de lieue de Genève ; mais on tâchera, par toutes les attentions possibles, de suppléer à ce qui nous manque.

Il paraît, par les lettres dont vous m’honorez, que vous n’avez besoin du secours de personne pour mépriser les idées absurdes dont le monde est infatué. Les sottises qui règnent dans la plupart des têtes viennent encore plus de la faiblesse du cœur

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. On remarquera l’emploi du mot auguste pour août.