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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/551

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et la laisser dans la rue, où elle est fort bien. Ma chère philosophe, mille respects à tous vos amis. Ah ! Épinai, pourquoi êtes-vous si loin des Délices ?


4261. — À M. LE CHEVALIER DE R…X,
à toulouse.
Aux Délices, 20 septembre.

Monsieur, je ne me porte pas assez bien pour avoir autant d’esprit que vous. Vous me prenez trop a votre avantage, comme disait Walter à Saint-Évremond. Vous êtes bien bon de lire des choses dont je ne me souviens plus guère ; mais vous avez trop d’esprit pour ne pas voir que la Réception de M. de Montesquieu à l’Acadèmie française, pour s’être moqué d’elle, n’est qu’un trait plaisant, et rien de plus. Faites comme l’Académie, monsieur ; entrez dans la plaisanterie, et surtout ne lisez jamais les discours de M. Mallet[1] à moins que vous n’ayez une insomnie.

Vous expliquez très-bien, monsieur, ce que M. de Montesquieu pouvait entendre par le mot vertu[2] dans une république. Mais, si vous vous souvenez que les Hollandais ont mangé sur le gril le cœur des deux frères de Witt ; si vous songez que les bons Suisses, nos voisins, ont vendu le duc Louis Sforce pour de l’argent comptant ; si vous songez que le républicain Jean Calvin, ce digne théologien, après avoir écrit qu’il ne fallait persécuter personne, pas même ceux qui niaient la Trinité, fit brûler tout vif, et avec des fagots verts, un Espagnol[3] qui s’exprimait sur la Trinité autrement que lui ; en vérité, monsieur, vous en conclurez qu’il n’y a pas plus de vertu dans les républiques que dans les monarchies. Ubicumque calculum ponas, ibi naufragium inventes[4]. Comptez que le monde est un grand naufrage, et que la devise des hommes est : Sauve qui peut !

Je suis très-fâché d’avoir dit que Guillaume le Conquérant disposait de la vie et des biens de ses nouveaux sujets, comme un monarque de l’Orient ; vous faites très-bien de me le reprocher. Je devais dire seulement qu’il abusait de sa victoire, comme

  1. Il s’agit probablement de P.-H. Mallet, que Voltaire avait, en 1752, fait nommer à l’Académie de Lyon (voyez tome XXXVII, pages 467 et 485), et qui venait de retourner à Genève.
  2. Voyez l’Esprit des lois, liv. III, chap. v.
  3. Michel Servet.
  4. Citation inexacte de Pétrone ; voyez la note, tome XXXIV, page 28.